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En collaboration avec Arcinfo, Le Rendez-vous Santé 

Par Brigitte Rebetez
Yolanda Espolio Desbaillet, Mariangela Gagliano et Laure Poudens (de gauche à droite), les trois spécialistes actives à la consultation de gériatrie ambulatoire.

Yolanda Espolio Desbaillet, Mariangela Gagliano et Laure Poudens (de gauche à droite), les trois spécialistes actives à la consultation de gériatrie ambulatoire. Photo © Guillaume Perret

GÉRIATRIE – L’objectif de la consultation ambulatoire du RHNe, est de dépister les fragilités des seniors et de proposer des mesures individualisées de prise en charge afin de préserver leur autonomie.

 

Si la longévité progresse dans toute la Suisse, elle est particulièrement marquée en pays neuchâtelois. Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), notre canton concentre le plus grand nombre de centenaires, juste après le Tessin. Il en totalisait 40 à fin 2022, le double de la moyenne nationale. Mais vivre plus longtemps constitue aussi un défi.

C’est précisément le cœur de métier de la consultation de gériatrie ambulatoire du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe). Développée progressivement, la structure a été formalisée début 2024, sur les sites hospitaliers de La Chaux-de-Fonds et de Pourtalès, à Neuchâtel.

25%: La proportion des aînés qui sont vulnérables dans la pyramide des âges des seniors

Elle rassemble trois gériatres, les docteures Yolanda Espolio Desbaillet, Mariangela Gagliano et Laure Poudens, qui estiment qu’il y a de gros préjugés à l’égard de leur spécialité. «Les patients pensent que le gériatre est là pour les envoyer au home… Mais la gériatrie, c’est bien avant l’entrée en EMS!»

Rester à domicile

«Avec l’âge, il faut composer avec deux éléments: des incapacités qui s’installent et la volonté des patients de rester à domicile», expose la docteure Espolio Desbaillet. «Notre rôle est de dépister les ressources et les difficultés éventuelles nous permettant d’élaborer le projet de soins personnalisé, afin d’instaurer une prise en charge bio-psycho-sociale sur mesure.»

À la consultation, les gériatres examinent le patient sous toutes ses facettes en réalisant une évaluation gériatrique globale. Cet examen standardisé permet d’identifier les besoins de la personne et de comprendre quelles sont ses priorités. «Nous pouvons ensuite définir ensemble sur quels axes intervenir, de manière pluridisciplinaire», détaille la gériatre.

«Je pourrai faire des propositions portant sur des traitements, de l’ergo- ou de la physiothérapie, les interactions sociales, la limitation souhaitée dans le domaine des soins, les directives anticipées… On s’occupe de la complexité des situations de chacun, en tenant compte des aspirations du patient, de sa famille et de l’éthique.»

Selon la docteure Mariangela Gagliano, cet examen «permet d’être à l’écoute du patient et de mettre en place une prise en charge individualisée, sur mesure, qui tient compte de ses problématiques de santé, de ses valeurs et de son environnement. L’évaluation est parfois longue, mais le jeu en vaut la chandelle». La consultation donne lieu à un rapport avec différentes propositions d’adaptation de la prise en charge, toutes discutées avec le patient et ses proches.

Agir à temps

À qui s’adresse cette consultation? «La pyramide des âges, chez les seniors, se compose d’environ 60% de personnes robustes, de 25% qui sont vulnérables et de 15% de dépendantes», énumère la docteure Espolio Desbaillet. «La consultation est ouverte à toute la population qui souhaite des conseils sur le bien vieillir, mais s’adresse principalement à la catégorie médiane.»

Mieux vaut consulter trop tôt que trop tard! «Construire un plan de soins anticipé permet d’éviter d’agir dans l’urgence. L’objectif étant d’intervenir avant que le patient ne soit dépendant et vulnérable. Car lorsque l’on est vulnérable, une chute ou une opération peut faire basculer le patient dans la catégorie suivante.»

Pour affiner l’approche médico-psycho-sociale, «nous avons une boîte à outils», image la docteure Gagliano. «Elle nous permet d’évaluer l’état de santé, la nutrition, la cognition, le moral, la mobilité, la continence, les troubles sensoriels et l’environnement social.»

Dépister la polymédication

Dans la mesure où les maladies chroniques augmentent avec l’âge, le rôle des gériatres consiste aussi à dépister la polymédication. Au-delà de cinq molécules, il y a un risque accru d’effets indésirables, d’autant qu’ils peuvent se produire à des doses plus faibles que chez un individu plus jeune.

Selon la docteure Espolio Desbaillet, «c’est un problème fréquent! Nous analysons quels sont les incompatibilités et les effets secondaires, afin d’effectuer un tri. Nous prenons également en compte les attentes du patient, qui conduiront peut-être à privilégier un traitement plutôt qu’un autre.» Les conclusions sont transmises au médecin traitant, puisque la consultation de gériatrie ambulatoire intervient en deuxième ligne.

«Construire un plan de soins anticipé permet d’éviter d’agir dans l’urgence.» Dre Yolanda Espolio Desbaillet, gériatre

Selon leur parcours clinique, les patients peuvent être adressés à la consultation de gériatrie ambulatoire par leur médecin généraliste ou d’autres intervenants du réseau de santé. «Il arrive qu’une personne soit référée par un cardiologue ou un chirurgien avant une opération lourde, dans le but de la mettre en condition au préalable», indique la docteure Mariangela Gagliano.

Si le vieillissement démographique n’est pas récent, la gériatrie est pour sa part une jeune spécialité médicale, avec une trentaine d’années au compteur. À titre de comparaison, la pédiatrie est déjà centenaire. Pour la docteure Espolio Desbaillet, «la médecine gériatrique a tout pour se développer et prendre de l’importance dans le futur».

Les objectifs de l’oncogériatrie

L’incidence des cancers augmentant avec l’âge, l’oncogériatrie vise à adapter les soins oncologiques au patient senior. Cette discipline ne se conçoit qu’en combinant l’expertise de l’oncologue à celle du gériatre. Un questionnaire de screening permet à l’oncologue de définir quel patient doit avoir recours au gériatre. «Notre rôle est d’évaluer si les symptômes du patient sont en lien avec son cancer ou avec des vulnérabilités préexistantes liées à son âge», détaille la docteure Laure Poudens.

Après une évaluation gériatrique et oncogériatrique, «c’est la classification de Balducci qui nous permet d’orienter nos propositions thérapeutiques. L’avis du patient ou de son représentant thérapeutique est important à prendre en compte, sans oublier celle du médecin de famille.» C’est ensuite au tumorboard, où sont réunis les spécialistes du cancer, qu’un plan personnalisé de soins sera établi, puis discuté avec le patient.

«Nous examinons si une polychimiothérapie est bénéfique pour la personne âgée ou si, à l’inverse, elle altère trop sa qualité de vie. Une réhabilitation peut permettre d’optimiser l’état du patient avant un traitement ou durant les intercures», explique la docteure. «Dans le cas d’une personne fragile atteinte d’un cancer avancé, nous privilégions la mise en place de soins palliatifs. Quels que soient le stade du cancer et le profil du patient âgé, nous adaptons une prise en charge personnalisée et évolutive. Le credo de cette discipline étant ‘primum no nocere’ (en premier, ne pas nuire).»