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PÉNURIE – En février 2023, le monde de la santé lançait un cri d’alerte: la pénurie de médicaments était devenue critique en Suisse. En 2024, elle s’est encore étendue, touchant quasiment tous les domaines, y compris certains traitements oncologiques ou traitements d’urgence. Au RHNe, la task force dédiée à la gestion de cette crise se démène au quotidien pour qu’aucune prise en charge ne soit différée.

Par Trinidad Barleycorn

Amandine Moutet, responsable de la Team ruptures du RHNe

Amandine Moutet, responsable de la Team ruptures du RHNe. / Photo © Guillaume Perret

Remplacer un médicament manquant par un équivalent, vérifier la posologie, les interactions et en informer les équipes médicales et soignantes. Importer des traitements, faire traduire les notices, jongler avec les stocks, rationner quand nécessaire. Et croiser les doigts pour que la pénurie de médicaments aiguë qui sévit en Suisse ne s’aggrave pas: depuis son engagement au RHNe en avril 2023, la pharmacienne Amandine Moutet est la cheffe d’orchestre de l’approvisionnement en médicaments de l’institution.

Un travail de Sisyphe, au coeur d’une pénurie mondiale, qu’elle mène avec la Team ruptures. Cette task force, entièrement dédiée à la recherche de solutions de remplacement et à l’analyse du marché pour anticiper les commandes, occupe deux des huit pharmacien·ne·s du RHNe, une assistante en pharmacie et quatre logisticien·ne·s. Elle conseille également les médecins dans leurs prescriptions, avec le soutien des pharmacien·ne·s clinicien·ne·s, et alimente une plateforme interne recensant les ruptures de stock et leurs alternatives.

«Nous ne produisons plus à grande échelle les médicaments qui manquent aujourd’hui: des produits devenus moins rentables avec le temps et les évolutions thérapeutiques.» Dr Grégory Podilsky

Une force de frappe indispensable, car le «pays des pharmas» n’a jamais aussi mal porté son surnom: en 2023, plus de 600 ruptures ont été recensées au RHNe. À titre de comparaison, 3000 médicaments sont pris en charge par l’assurance maladie obligatoire. «Tous les pays sont impactés, mais certains peuvent l’être davantage, par exemple lorsque l’approvisionnement à l’étranger n’est pas facilité. Mais il est vrai que la Suisse a perdu de sa superbe, lorsque l’on parle «médicament», souligne le Dr Grégory Podilsky, pharmacien-chef du RHNe. Désormais, nous avons surtout les bureaux administratifs des pharmas, la recherche et développement, mais la production a bien souvent été délocalisée et nous ne produisons plus à grande échelle les médicaments qui manquent aujourd’hui: des produits devenus moins rentables avec le temps et les évolutions thérapeutiques.»

Dr Grégory Podilsky devant les tiroirs de la pharmacie du RHNe

Dr Grégory Podilsky, pharmacien-chef du RHNe. / Photo © Guillaume Perret

Antibiotiques, antidouleurs, anti-inflammatoires et vaccins sont particulièrement touchés. La situation est telle que même l’aspirine, bon marché certes, mais vitale pour les victimes d’un infarctus ou d’un accident vasculaire cérébral, a été, pendant six mois, en rupture de stock sous sa forme injectable, utilisée lors des traitements d’urgence. Faute d’alternative, elle avait dû être rationnée.

Actuellement, c’est la rareté de certains anxiolytiques comme le Temesta qui préoccupe les deux spécialistes. Presque indisponible pendant une période, le Temesta reste contingenté. «Cela peut créer de la détresse pour des personnes stabilisées avec ce médicament. Certaines pourraient être tentées de trouver des solutions par d’autres voies, moins sécurisées», s’inquiète le pharmacien-chef.

Le vaccin antirabique est également rationné. Tout comme l’Ozempic, victime de son succès planétaire après que les célébrités américaines et stars des réseaux sociaux ont vanté les vertus amincissantes de ce produit danois, destiné au traitement du diabète de type II . Un détournement de sa finalité qu’Amandine Moutet n’hésite pas à qualifier de «très égoïste», car il prive les diabétiques de leur traitement: «Tout le monde ne semble pas avoir pris conscience des problèmes de pénurie. On le voit aussi lorsque les gens font des réserves de médicaments qui commencent à manquer. Cela précipite la rupture, alors qu’il faudrait en laisser pour les autres.»

Un marché trop petit pour être attractif

Outre le fait qu’elle a délaissé certaines productions souvent peu rentables, la Suisse est aussi pénalisée par sa taille: «D’un point de vue économique, le marché suisse, petit en comparaison internationale, est peu attrayant pour une industrie pharmaceutique active au niveau mondial», indique la Confédération sur son site. Longtemps, les médicaments y étaient vendus plus chers qu’ailleurs, compensant l’incapacité d’avoir des économies d’échelle dans le pays. Mais la pression constante à la baisse des prix, surtout des génériques, a fait passer la petite Suisse derrière ses grands voisins sur les carnets de commandes.

rayons de la pharmacie du RHNe

Les rayons de la pharmacie du RHNe / Photo © Guillaume Perret

Et aucune amélioration ne se profile. Au contraire: ces deux dernières années, les ruptures se sont étendues à d’autres catégories de médicaments, notamment certaines chimiothérapies. Faut-il craindre d’en arriver un jour au triage des patient·e·s? À l’heure actuelle, le Dr Podilsky imagine plutôt des ajustements thérapeutiques, «comme cela a déjà été le cas récemment avec un médicament d’urgence, sans équivalent et prescrit pour des situations critiques d’embolie pulmonaire, d’AVC ou d’infarctus. Son utilisation s’est vue cadrée et restreinte sur la base d’une ordonnance fédérale.»

Une décennie de signes avant-coureurs

Les origines de la crise actuelle sont à chercher bien en amont, avec la mondialisation dans les années 1990. La production de matières premières et principes actifs est alors délocalisée en Asie afin de profiter d’une main-d’oeuvre bon marché. Aujourd’hui, 80% de la production mondiale se concentre en Chine et en Inde. Le conditionnement se fait ensuite sur les continents américains ou en Europe. Cette concentration des compétences a révélé sa grande fragilité avec la pandémie de Covid-19 qui avait mis à l’arrêt les usines chinoises, et, plus récemment, avec la guerre en Ukraine, «car Kiev produit un certain nombre de composants nécessaires à l’emballage des médicaments, comme l’aluminium, le verre ou même les métaux nécessaires aux aiguilles pour injection», rappelait Bruno Bonnemain, président de l’Académie nationale de pharmacie en France, fin 2023 sur France Info.

En 2006, le Conseil fédéral avait pour la première fois émis une directive pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement en Suisse. «Il y a une dizaine d’années, nous commencions déjà à être touchés par un certain nombre de problèmes d’approvisionnement, dont le caractère plus épisodique rendait leur traitement plus aisé», précise Grégory Podilsky qui exerçait à l’époque au CHUV, à Lausanne.

Pour éviter les invendus, et donc les pertes financières, les industries ont souvent opté pour une production en flux tendu, en limitant les réserves. Ce problème a été mis en évidence pendant la pandémie, lorsque la demande pour les solutions hydroalcooliques, les anesthésiques, curares et benzodiazépines a explosé. La pharmacie du RHNe avait alors créé un premier dispositif de crise, composé de deux personnes, et avait été contrainte de renforcer son équipe pour aider à la production de désinfectant. Malgré l’accalmie sur le front du virus, les pénuries, elles, n’ont ensuite fait qu’empirer, nécessitant la création d’un dispositif dédié et structuré: la Team ruptures.

La Team ruptures du RHNe

La Team ruptures du RHNe (de g. à dr.): Justine Brahier, Wendy Jeannin, Amandine Moutet, Melvin Blanc, Alexandra Le Brun, Luca Battaglia et Sandy Cortina. / Photo © Guillaume Perret

Dans un marché n’ayant presque plus de marge de manoeuvre, le moindre grain de sable peut gripper l’approvisionnement. Qu’il s’agisse d’un degré de qualité insuffisant d’un principe actif ou d’une rupture de papier pour imprimer les notices d’un antibiotique. Récemment, la production de certaines perfusions a dû être interrompue à cause d’une pénurie de plastique, alors que d’autres livraisons ont été retardées suite à une grève des camionneurs en Angleterre.

Les professionnel·le·s de la santé suisses avaient tiré la sonnette d’alarme une première fois en février 2023, au sortir d’un hiver marqué par les pénuries de remèdes pour faire face à la triple épidémie de Covid-19, grippe et bronchiolite. Dans la foulée, l’initiative «Oui à la sécurité de l’approvisionnement médical» était lancée par seize associations pharmaceutiques, médicales, industrielles ou de défense des consommateur·rice·s.

La Confédération, elle, venait tout juste de prendre des mesures pour constituer des stocks, faciliter davantage l’importation, permettre les quantités fractionnées (remise du nombre de comprimés nécessaires au traitement et non de l’entier de la boîte) et autoriser les préparations magistrales (médicaments préparés par les pharmacies de ville elles-mêmes) de remèdes en rupture. Des directives à même de détendre le marché, mais insuffisantes pour espérer une solution à long terme, selon la faîtière PharmaSuisse.

Solidarité nationale des hôpitaux

Pour l’instant, au RHNe, personne n’a été privé d’un traitement. «Dans certains cas, nous avons augmenté nos stocks de 15 jours à 2-3 mois. Nous avons aussi eu de la chance: nous avons toujours réussi à importer ou à trouver un alternatif contenant la même molécule ou une molécule ayant les mêmes effets», détaille Amandine Moutet. Pour les hôpitaux, les médicaments importés – plus onéreux car en quantité moindre – sont couverts par le forfait hospitalier. Mais les patient·e·s qui devront ensuite se les procurer en pharmacie, auront parfois de la peine à se les faire rembourser par la caisse maladie, malgré un allégement des conditions, instauré en 2023 par l’Office fédéral de la santé publique.

La forte dépendance de la Suisse vis-à-vis des pays un peu moins impactés par la pénurie, principalement l’Allemagne, mais aussi la France et l’Angleterre, n’est pas sans risque: de plus en plus souvent, ces fournisseurs sont également dépourvus. Avec la crainte de les voir mettre en place une politique protectionniste bloquant l’exportation, comme cela avait été le cas, par périodes, en Allemagne durant le Covid. Si la Team ruptures du RHNe se démène pour que la chance ne soit pas la seule à décider de la bonne prise en charge des patientes et patients, les solutions relèvent parfois du système D, faute de mesures concrètes au niveau fédéral. Comme pendant la pandémie, la solidarité entre établissements de soins s’avère cruciale. Le site drugshortage.ch, créé par le Dr Enea Martinelli, vice-président de PharmaSuisse, recense les ruptures de stock. Les HUG ont également ouvert une plateforme publique. Et une cellule d’échange d’information hebdomadaire entre hôpitaux romands a été mise en place. L’entraide s’étend même au-delà: «Il m’est arrivé de dépanner les hôpitaux de Locarno ou de Berne, en attendant qu’ils reçoivent leur commande, précise Amandine Moutet. Mais il faut vraiment qu’une organisation se mette en place au niveau fédéral. Pour l’instant, nous n’avons aucune aide, sauf quand les réserves de médicaments fédérales obligatoires sont libérées pour détendre le marché.»

Accroissement du risque d’erreurs

Remplacer un médicament par un autre n’est jamais anodin. L’impact sur les soignant·e·s, déjà sous haute pression en raison de la pénurie de personnel, est conséquent, rappelle le pharmacien-chef: «C’est une charge de travail supplémentaire importante et surtout, c’est un risque d’erreur de médication majeur. 600 ruptures, c’est 600 changements à intégrer en pratique. Remplacer l’Ibuprofène Sandoz par l’Ibuprofène d’une autre marque, est mineur. Mais quand nous sommes contraints de remplacer un injectable par une alternative qui n’a pas la même concentration, le même conditionnement ou dont la notice est écrite en japonais, on augmente significativement le risque d’erreur.» Heureusement, pour le moment, de telles situations sont rares: «Ces changements sont très efficacement gérés par nos équipes soignantes.»

Pour les spécialistes, la pénurie ne pourra se résoudre que par la mise en place d’une batterie de mesures comme la revalorisation des médicaments peu chers, à l’instar de ce que tente l’Allemagne, ou la relocalisation d’usines en Europe, comme essaie de le faire la France. Si pendant la crise du Covid, le monde s’est donné les moyens de produire rapidement de grandes quantités de vaccins, monter des chaînes de production pour autant de médicaments requiert énormément de temps et d’argent. Des coûts qui se répercutent sur le porte-monnaie: la hausse récente du prix du Dafalgan était justifiée par le rapatriement de la production en France. Quant aux hôpitaux universitaires – capables de produire à plus large échelle que les hôpitaux cantonaux -, ils ne sont pas en mesure de couvrir une pénurie de cette ampleur. Amandine Moutet et Grégory Podilsky précisent cependant que si la situation est difficile à gérer au quotidien, elle reste actuellement sous contrôle, et pensent que «la solution n’est pas pour demain et les mesures à prendre doivent viser la récupération à long terme de notre autonomie et notre capacité de résilience.»

Un logiciel pour identifier les événements médicamenteux indésirables

Depuis 2023, la pharmacie clinique du RHNe dispose d’une solution qui permet d’alerter les équipes médico-soignantes en cas de prescriptions potentiellement inappropriées.

Par Pierre-Emmanuel Buss

Dre Mariangela Gagliano

Dre Mariangela Gagliano, médecin-cheffe au sein du département de gériatrie, réadaptation et soins palliatifs (DGRSP) du RHNe. / Photo © Guillaume Perret

La pharmacie clinique est une des facettes des nombreuses activités effectuées par le secteur des prestations cliniques de la pharmacie du RHNe. Son objectif principal est de conseiller les médecins et les soignant-e-s pour prévenir les effets indésirables ou autres complications provoqués par la prise d’un ou plusieurs médicaments chez les patient-e-s hospitalisé-e-s. Pour relever ce défi, les pharmacien-ne-s des prestations cliniques participent aux visites médicales dans seize services différents.

À cette occasion, ils-elles parcourent de manière approfondie les dossiers des patient-e-s avec une attention particulière portée sur la réconciliation médicamenteuse, les indications (in)justifiées, les posologies, les modalités d’administration, les effets indésirables, les interactions médicamenteuses ainsi que la proposition de prescription d’un suivi ou d’un contrôle spécifique. 15% des cas hospitalisés bénéficient de cette analyse approfondie.

Cette démarche de visite conjointe avec la pharmacie clinique a été initiée en 2010 au sein du département de gériatrie, réadaptation et soins palliatifs (DGRSP). «Les patients âgés et polymorbides sont particulièrement exposés au risque d’événements indésirables médicamenteux, précise la Dre Mariangela Gagliano, médecin-cheffe au sein du DGRSP. Les gériatres y sont sensibilisés durant leur cursus de formation. Les traitements des patients sont revus et adaptés selon leurs comorbidités, leur profil de vulnérabilité gériatrique et leur projet de soins.»

En 2023, la pharmacie s’est dotée d’une logiciel informatique baptisé Pharmaclass. «L’effectif de la pharmacie clinique n’est pas suffisant pour analyser l’intégralité des prescriptions, ceci étant accentué par le contexte formation continue des médecins dans le domaine de la pharmacologie. «Aujourd’hui, Pharmaclass nous permet d’analyser quotidiennement la médication de 85% des patients hospitalisés. Nous avons la chance d’être le second hôpital en Suisse à disposer de ce logiciel en routine après le Valais», complète Rima Ducommun, pharmacienne-cheffe adjointe et responsable des prestations cliniques.

En 2023, la pharmacie s’est dotée d’une logiciel informatique baptisé Pharmaclass. «L’effectif de la pharmacie clinique n’est pas suffisant pour analyser l’intégralité des prescriptions, ceci étant accentué par le contexte multisite du RHNe, souligne Céline Tochot-Remonnay, pharmacienne clinicienne. Pharmaclass est un outil de supervision pharmaco-clinique proactif et ciblé qui permet d’identifier les PMI et contribuer ainsi à diminuer les événements médicamenteux indésirables (EMI).»

PharmaClass s’appuie sur les données démographiques, les données de laboratoires, les médicaments et les constantes physiologiques. Sur la base des règles paramétrées par la pharmacie, l’outil remonte au/à la pharmacien·ne clinicien·ne des alertes pharmacologiques permettant à ce/cette dernier·ère d’intervenir de manière ciblée auprès du prescripteur. Le/la pharmacien·ne a ainsi la possibilité d’apporter son expertise, d’éviter des EMI et de participer au processus de formation continue des médecins dans le domaine de la pharmacologie. «Aujourd’hui, Pharmaclass nous permet d’analyser quotidiennement la médication de 85% des patients hospitalisés. Nous avons la chance d’être le second hôpital en Suisse à disposer de ce logiciel en routine après le Valais», complète Rima Ducommun, pharmacienne-cheffe adjointe et responsable des prestations cliniques. Une phase pilote a été réalisée au sein du DGRSP en janvier 2023 avant de s’étendre à la majorité du RHNe. Sur l’ensemble de l’année 2023, le logiciel a généré environ 2000 alertes qui ont conduit dans 52% des cas à une intervention pharmaceutique justifiée.

Top 3 des principales interventions pharmaceutiques avec un exemple

et le pourcentage d’interventions en 2023:

1) Contre-indication ou non-conformité à des référentiels: un médicament contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale sévère (metformine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, colchicine…): 27,9%

2) Effets indésirables: une association de médicaments à risque cumulé d’agranulocytose (Metamizole avec Carbimazole): 25,7%

3) Interactions médicamenteuses: un syndrome de manque pour un/une patient·e sous méthadone suite à l’utilisation concomitante d’un inducteur enzymatique: 18,4%

Le sang O négatif, indispensable mais rare

Les produits sanguins sont aussi régulièrement confrontés à des pénuries en Suisse. Le point avec la Dre Amira Sarraj, directrice du centre de transfusion CRS Neuchâtel-Jura.

Propos recueillis par Trinidad Barleycorn

Dre Amira Sarraj,  directrice du centre de transfusion CRS Neuchâtel-Jura

​ Dre Amira Sarraj, directrice du centre de transfusion CRS Neuchâtel-Jura / Photo © admed

Compatible avec tous les grands groupes sanguins, le O négatif sauve d’innombrables vies: lorsque le temps manque pour déterminer le groupe et le rhésus d’un·e patient·e aux urgences, c’est ce sang qui est administré. Cependant, il est toujours le premier à manquer, car si elles sont donneuses universelles, les personnes de groupe O négatif ne représentent que 6% de la population. À Neuchâtel, l’utilisation de leurs dons est en cours d’optimisation.

RHNE MAG: Comment fluctuent les réserves de sang?

Dre Amira Sarraj: Les concentrés érythrocytaires n’ont que 42 jours de vie et les plaquettes, sept jours. il faut donc constamment renouveler les stocks. Les pénuries coïncident avec les vacances d’été et de fin d’année, durant lesquelles on perd un tiers des dons. On augmente donc les prélèvements peu avant pour espérer tenir.

Quelle est la situation dans le canton de Neuchâtel?

Historiquement, il a toujours été en autosuffisance grâce à son centre de La Chaux-de-Fonds. En 1997, Berne nous a cédé le centre de transfusion de Neuchâtel. Pour éviter de perdre ces précieux donneurs en surplus, nous sommes devenus une région exportatrice. Nos donneurs sont très généreux, avec 13 000 dons par an. La moitié est utilisée dans la région Neuchâtel-Jura, principalement au RHNe qui en reçoit environ 4000. L’autre moitié va à Genève, Fribourg et Berne. Les hôpitaux neuchâtelois et jurassien sont prioritaires.

Vous avez évoqué, en début d’année dans la presse, le gaspillage de O négatif dans les cliniques qui en utiliseraient proportionnellement plus que les hôpitaux?

Les petites structures doivent avoir sept concentrés érythrocytaires, dont deux O négatif pour pallier un saignement imprévu. Cela représente presque 30% du stock alors que le groupe sanguin de leurs patients est connu avant les opérations et qu’elles n’accueillent pas d’urgences. Ces réserves de o négatif sont donc rarement utiles. En comparaison,
le RHNe a 50-60 concentrés, dont 10% de O négatif. Quand la date de péremption approche, les petites structures utilisent leur O négatif pour des patients d’autres groupes. Ce qui est logique: je suis aussi contre le gaspillage.

Il n’y a donc pas d’utilisation abusive du O négatif ?

Non. il y a éventuellement eu un peu de laxisme. Je voulais faire bouger les choses. on travaille désormais ensemble pour trouver des solutions. L’une d’elle consisterait à récupérer les poches quelques semaines avant péremption pour les remettre aux services d’urgences. Cela demande une organisation plus lourde, mais c’est une discussion en cours aussi au niveau national.

Y a-t-il d’autres produits régulièrement touchés par les pénuries ?

Oui, les plaquettes, difficiles à gérer, car elles se conservent mal. Heureusement, elles peuvent être transfusées indépendamment du groupe sanguin.

Enregistre-t-on des pertes de produits ?

Elles sont faibles. Depuis le début de l’année, sept concentrés érythrocytaires de groupes AB ou B n’ont pas été utilisés. Pour les plaquettes, le taux de perte est d’environ 10%. Il ne pourrait pas être plus bas en raison des contraintes liées à sa conservation.

Pourra-t-on un jour se passer des dons?

On a réussi à fabriquer des globules rouges à partir des cellules souches, mais le processus est trop cher pour remplacer le don. Les besoins en sang, hors oncologie, ont cependant beaucoup diminué, car on ne transfuse plus systématiquement et les méthodes chirurgicales se sont améliorées. Au début des greffes hépatiques par exemple, on utilisait 40 concentrés par opération, contre un ou deux aujourd’hui.

Qui peut donner son sang ?

Toute personne en relative bonne santé, de plus de 50 kilos et âgée entre 18 et 60 ans lors du premier don. une fois donneur, vous pouvez continuer jusqu’à 75 ans. Les donneurs avec hypertension, allergies, ou sous anti-inflammatoires sont acceptés, ainsi que les diabétiques ne prenant pas d’insuline. Depuis 2023, les hommes homosexuels peuvent donner aux mêmes conditions que les hétérosexuels. Les personnes en rémission d’un cancer non hématologique sont désormais aussi admises, mais pas celles avec une maladie auto-immune ou ayant fait un infarctus.

Toutes les infos pour donner son sang sur le site du service régional neuchâtelois et jurassien de transfusion sanguine: srnjts.ch