En collaboration avec Arcinfo, Le Rendez-vous Santé
Âge minimal, surconsommation, prévention des risques, signaux d’alerte… Comment concilier éducation de son enfant et écrans? Le point avec le Dr Marc Ecoffey, pédiatre au Réseau hospitalier neuchâtelois.
Pas tout simple d’élever un enfant avec l’omniprésence des tablettes, consoles et autres smartphones. D’autant plus que les parents ne montrent pas toujours le bon exemple… À quel âge mon bambin peut-il commencer à consulter un écran? Mon ado est-il accro à son téléphone? Comment prévenir les risques sur les réseaux sociaux? Entretien avec le Dr Marc Ecoffey, médecin chef au Département de pédiatrie du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe).
Dans vos consultations, l’utilisation des écrans est-elle un sujet de préoccupation récurrent chez les parents?
Il y a plusieurs cas de figure, par exemple lorsqu’un parent vient avec un ado qui passe trop de temps avec son téléphone ou quand le sujet émerge lors d’un contrôle du développement d’un enfant… En consultation, il m’arrive aussi de demander comment cela se passe entre l’enfant et les écrans. Car il s’avère que des bébés de 2 ans ou moins sont déjà placés devant un écran. C’est problématique, même si des programmes sont conçus pour les tout-petits: il n’y a pas d’évidence scientifique qui montre qu’ils aident au développement de l’enfant. Il y a donc une mauvaise perception des parents qui pensent que le numérique peut lui être bénéfique si tôt.
Vos conseils?
Tout dépend de l’âge. Une référence, c’est le programme « 3-6-9-12» du psychiatre Serge Tisseron pour une utilisation raisonnée des écrans en famille. Le principe, c’est d’éviter de laisser un bambin devant un écran avant l’âge de 3 ans. Ensuite, il s’agit de guider l’enfant par étapes, pour l’aider à comprendre. Un problème signalé par des parents en consultation, c’est que leur enfant crise quand ils lui retirent l’écran. Dans ce cas, mes conseils portent sur la fixation de limites et sur le fait que les écrans ne doivent pas remplacer les jeux, l’ennui, les contacts sociaux et l’exploration par lui-même, qui sont tous nécessaires à son développement. Cette expérimentation sollicite tous les sens, alors que l’écran se limite à l’image et au son… Cela dit, le numérique nous apporte aussi du positif, inutile de le diaboliser. Il faut accompagner l’enfant dans son utilisation, le guider comme on le fait par exemple pour le maniement d’un couteau: on ne commence pas par lui donner un hachoir de boucher, mais on prendra un petit modèle pour lui montrer comment s’en servir.
Et à l’adolescence?
Les jeunes doivent acquérir un regard critique à l’égard des infos qu’ils trouvent sur leur écran; on doit aussi les rendre attentifs aux problèmes de confidentialité par rapport à ce qu’ils postent sur les réseaux et au fait que ce qui est mis en ligne est permanent… Il est important qu’ils apprennent à s’en servir avec discernement, car tout est fait pour qu’on devienne accro! J’ai l’impression que l’école neuchâteloise fait pas mal de travail de prévention dans ce domaine.
En tant que parents, nous devons être des modèles pour nos enfants. Et ceci dès leur naissance: si on nourrit son bébé tout en consultant son téléphone, c’est problématique. Des parents m’ont aussi rapporté que pour faire manger leur enfant, ils allumaient la télévision et leur tablette pour faire distraction, ce qui est vraiment à éviter.
«Il y a des progrès à faire, en matière de prévention primaire, pour protéger les tout-petits.» Dr Marc Ecoffey, médecin chef au Département de pédiatrie du RHNe
À partir de quand parle-t-on d’une utilisation problématique?
Il y a pas mal d’ados qui passent beaucoup de temps sur leurs écrans, mais il peut y avoir une discrépance entre la perception parentale et la situation du jeune. Dans la grande majorité des cas, cela se passe bien: les adolescents parviennent à faire la distinction entre vraie vie et virtuel. On parle de consommation problématique quand il y a perte de contrôle. Cela se traduit par des problèmes d’endormissement, une baisse des résultats scolaires, une négligence du travail scolaire, des conflits familiaux, un retrait social, une diminution des activités extrascolaires ou la sédentarité et le surpoids. Certains jeunes disent qu’ils ressentent un phénomène de manque lorsqu’ils ne sont pas devant un écran, qu’ils s’ennuient… C’est notamment dû au fait que bon nombre d’applis fonctionnent en stimulant les circuits de «récompense» du cerveau, ce qui incite à consommer plus d’écrans.
Vous êtes souvent confronté à des cas de surconsommation??
C’est rare que ce problème soit au premier plan. Il faut généralement aller le rechercher de manière proactive lors d’une consultation pour des troubles du sommeil ou problèmes scolaires.
Entre filles et garçons, les dangers du numérique sont-ils différents?
Ils ne sont pas les mêmes, en effet: les visionnements de vidéos pornos et les dépendances aux jeux en ligne concernent surtout les garçons, tandis que les filles subissent plus de harcèlement et de messages à connotation sexuelle. L’anxiété, un sentiment dépressif, un problème d’estime de soi constituent des facteurs de risque vis-à-vis des jeux. Les ados peuvent se créer un avatar qui génère un sentiment de puissance et qui incite à jouer encore plus.
La prévention est-elle suffisante?
Il y a des progrès à faire en matière de prévention primaire pour protéger les tout-petits. D’autant plus que les industries numériques sont puissantes… Le rôle du pédiatre, qui consiste aussi à faire de la médecine préventive, a toute son importance. Lors des contrôles de santé, en s’intéressant au développement de l’enfant, il pourra casser certains mythes autour des supposés bienfaits des écrans, notamment pour les tout-petits. Une tablette ou un smartphone n’est pas une nounou! Certains fabricants font passer les jeux pour des moyens éducatifs miracles. Mais rien ne remplace l’exploration par soi-même ainsi que les interactions et l’apprentissage avec les parents.
Sources d’information pour les parents
Plusieurs sites proposent des conseils aux parents sur les manières d’accompagner leurs enfants dans le domaine numérique. Le pédiatre Marc Ecoffey recommande la plateforme nationale de promotion de compétences médiatiques «Jeunes et médias» mise en place par la Confédération, tout comme l’«Association ciao» dont l’objectif est de contribuer au bien-être physique, mental ou social des jeunes Romands.
Sur son site, Pro Juventute fournit des lignes directrices sur le temps d’écran adapté à l’âge des enfants. La fondation préconise zéro écran (tout au plus quelques minutes avec maman ou papa) pour les bambins de moins de 3 ans, trente minutes/jour maximum pour les 3-5 ans, une heure/jour pour les 6-9 ans. À partir de 10 ans, les chérubins pourront passer un peu plus de temps devant la tablette. Les parents sont invités à mettre en place des limites en fonction de l’âge, mais «il n’existe pas de règles valables pour chaque enfant» précise Pro Juventute, car tous ne réagissent pas de la même manière.
Impact sur les habitudes alimentaires
Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), «la plupart des jeunes font un usage intensif des nouveaux médias, mais la grande majorité des ados a un rapport sain avec les médias numériques». Le Monitorage suisse des addictions de 2015 a détecté que 7% des 15-19 ans manifestaient une utilisation problématique d’internet. «Les élèves qui passent plus de temps que la moyenne à l’écran présentent, par exemple, deux fois plus de mauvaises habitudes alimentaires que les autres, précise l’OFSP. Ils sont plus souvent en surpoids et pratiquent trop peu d’activités physiques.»