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Par Pierre-Emmanuel Buss

Dr Christof Stähli, médecin-chef adjoint de chirurgie et responsable de la programmation des blocs opératoires. Photos © Guillaume Perret

Le Dr Christof Stähli, médecin-chef adjoint de chirurgie, est responsable de la programmation des blocs opératoires des sites de Pourtalès et de La Chaux-de-Fonds du RHNe. Une fonction centrale qui nécessite d’importantes aptitudes relationnelles. Entretien.

Le bloc opératoire est le centre névralgique d’un hôpital de soins aigus, avec un fonctionnement 24h sur 24h, 365 jours par année. La programmation des interventions électives (planifiées) représente un travail complexe en parallèle de l’organisation de la prise en charge des urgences, ce qui impacte l’ensemble des spécialités. Avec des conséquences pour les patient-e-s, mais aussi pour les finances de l’hôpital si le bloc est mal utilisé.

Au sein du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe), le Dr Christof Stähli, chirurgien de formation, est responsable de la programmation des blocs opératoires des sites aigus de Pourtalès et de La Chaux-de-Fonds. Quand on lui demande de décrire son travail en une phrase, le quinquagénaire manie l’humour: «Mon activité ressemble à celle d’un aiguilleur du ciel. À la différence qu’eux ont 35 jours de vacances par an et des récupérations, travaillent 35 heures par semaine et partent à la retraite à 60 ans!»

 

Quelle est votre journée type?
Dr Christof Stähli: J’arrive au travail vers 7h et je commence souvent ma journée en buvant un café devant l’entrée principale du site de Pourtalès. Cela me permet de voir pas mal de monde: des opérateurs, mais surtout leurs secrétaires. Ce sont mes principales interlocutrices pour la programmation. Elles jouent le rôle d’interface, car elles connaissent très bien l’agenda des opérateurs. Si une intervention chirurgicale est déplacée ou rajoutée, elles adaptent le planning des consultations.

Vers 7h30, je me déplace vers les bureaux de l’OP-Management (OPM), où l’on détermine la programmation et la planification opératoire. Je fais un premier tri de mes courriels et commence à préparer le programme du lendemain – celui du jour est bouclé depuis la veille. S’il y a un imprévu au bloc, on m’appelle. Les raisons sont variées: un patient qui n’est pas là ou qui n’est pas arrivé à l’heure; du matériel non disponible… Cela peut avoir un impact sur le planning. Je fais souvent l’interface directement. La gestion des lits (GDL), qui est un secrétariat de programmation opératoire, s’occupe de la part administrative. Mais pour expliquer un problème, c’est souvent plus simple de le faire soi-même. Du coup, je suis au téléphone une bonne partie de la journée: je passe entre 75 et 100 appels par jour.

J’ai aussi des tâches organisationnelles à plus long terme, telles que l’attribution des vacations aux différents services, et la mise à jour des statistiques des blocs opératoires. Mes journées sont denses, mais aussi passionnantes car elles sont très variées. Normalement je rentre à la maison vers 18h30. Mais je reste disponible au besoin.

«Il est toujours possible de me joindre. Mais trois semaines par année, je déconnecte totalement. C’est une soupape indispensable.»

Vous arrivez à décrocher?
Pas vraiment. J’ai toujours mon ordinateur et mon téléphone avec moi. Il est toujours possible de me joindre. Mais trois semaines par année, je déconnecte totalement. C’est une soupape indispensable.

La chirurgie ne vous manque pas?
Non, parce que je pratique toujours! Mais avec les sollicitations que je reçois toute la journée, je n’ai pas la possibilité de voir des patients en consultation. Un à deux jours par semaine, je fais de la chirurgie viscérale et de la chirurgie endocrinienne en binôme avec le Dr Jean-Claude Renggli. Je laisse mon téléphone à un tiers qui fait le filtre. En cas d’urgence, je peux répondre. Pour moi, la chirurgie est une oasis: à la différence d’une journée normale ou je suis sollicité constamment, je peux enfin me concentrer sur une seule chose pendant plusieurs heures.

Comment vous êtes-vous retrouvé à gérer la planification du bloc opératoire?
Quand mon prédécesseur, le Dr Christian Meuli, est parti à la retraite, on m’a proposé le poste. J’ai commencé le 1er mai 2016. En 2017, j’ai été rejoint par le Dr Christopher Sulzer, médecin-chef de service en anesthésiologie. Nous formons un duo complémentaire. Sa tâche consiste principalement à réaliser ce que j’ai imaginé en matière de planning opératoire. Il faut comprendre qu’au bloc, les opérateurs, les anesthésistes et le personnel spécialisé n’ont pas toujours les mêmes points de vue. C’est un peu comme sur un chantier: c’est toujours les autres corps de métier qui sont responsables si quelque chose ne fonctionne pas.

Avez-vous suivi une formation spécifique?
J’ai suivi trois demi-journées de formation avec Christian Meuli, juste avant son départ! Madame Corinne Scheidegger, qui était déjà data manager et qui a travaillé longtemps avec lui, m’a été très précieuse lors de la transition. Mais les premiers temps ont été rudes, je dois bien l’avouer. J’ai dû faire ma place.

Est-il indispensable d’avoir une formation de chirurgien pour occuper cette fonction ?
Mon remplaçant, Luis Ferreira da Silva, n’est pas médecin. C’est donc tout à fait possible. Mais pour être responsable de la planification, je pense que c’est un plus d’être chirurgien. On entend souvent des employés dire «je n’ai pas pu lui dire non, il est quand même docteur». Pour beaucoup, ce n’est pas perçu comme une fonction, mais comme un mérite. Avec mon parcours, je suis considéré comme un des leurs. Dans certains hôpitaux, des économistes ou des logisticiens gèrent le bloc. C’est difficile pour eux d’avoir la reconnaissance et de gagner la confiance des opérateurs. À mon avis, c’est un préalable très important pour effectuer ce travail.

On dit que le bloc opératoire est un lieu sous haute tension, avec des chirurgiens qui souhaitent tous avoir un maximum de plages opératoires. Vous êtes formé à la gestion de conflits ?
Je suis marié et j’ai un adolescent à la maison alors j’ai l’habitude… (rire). Plus sérieusement, je ne suis pas formé spécifiquement pour cela. Mais je suis quelqu’un qui ne cherche pas le conflit. Je suis toujours à la recherche d’une solution. Si un opérateur a un problème, il sait que je vais faire le maximum pour le résoudre. Bien sûr, ce n’est pas toujours possible de satisfaire tout le monde. J’ai coutume de dire que mon objectif est d’équilibrer les mécontentements.

Comment avez-vous vécu la période de pandémie de Covid-19, avec le report de nombreuses opérations non urgentes ?
Cela a été une période très compliquée. On a vécu une succession de situations complètement inédites. D’abord, on a vu à la télévision ce qui se passait à Bergame, en Italie du Nord, avec des hôpitaux submergés. Puis le Conseil fédéral a défini par voie d’ordonnance quels types d’interventions les hôpitaux étaient autorisés à pratiquer. D’un jour à l’autre, on a diminué au maximum le nombre de cas électifs et fermé des salles: en temps normal, on dispose de six salles à Pourtalès et de trois à La Chaux-de-Fonds. Nous avons gardé à Pourtalès deux salles pour les cas électifs, plus une salle pour les urgences.

En moyenne, on opère 550 cas électifs par mois. En avril 2020, on est descendu à 228 cas. Il a fallu réorganiser le dispositif à plusieurs reprises. Tous les patients étaient testés les jours avant l’intervention. La concentration sur un seul site et la diminution des cas électifs n’ont pas allégés mon travail, bien au contraire. Ma journée débutait à 5h du matin par le contrôle des tests Covid des patients du jour – tous les patients opérés étaient testés. Elle finissait à 23h par le contrôle des tests des patients du lendemain. Les week-ends, j’étais en contact avec mes collègues pour connaître l’occupation des lits et définir si le programme électif du lundi pourrait avoir lieu.

Qu’avez-vous appris de cette période de crise ?
Qu’une crise est toujours porteuse d’opportunités! Beaucoup de choses sont possibles même quand on te dit que ce n’est pas le cas – souvent simplement pour son confort personnel. Nous avons été contraints de travailler avec un dispositif en lits réduit. On mettait des patients sur des «matelas tièdes», c’est-à-dire qu’ils étaient parfois trois à se succéder sur la même place en une journée, mais toujours dans un nouveau lit. Cela nous a donné une souplesse qu’on n’avait pas avant la pandémie.

Après la pandémie, nous avons encore eu des reports d’intervention en raison de la présence de nombreux patients en attente de placement (lits C). Le manque de ressources en lits nous a contraint de trier les patients pris en charge au bloc opératoire, en fonction des priorités médicales. C’est la partie que je déteste dans mon travail. Heureusement, ce n’est pas fréquent. Car ce n’est pas très agréable de téléphoner à un patient pour lui dire que son opération est décalée. En général, cela se passe bien: seuls 10% des patients sont désagréables au téléphone, les autres sont très compréhensifs.

Vous gérez la programmation des blocs sur deux sites distants de 25 kilomètres. C’est une complication
supplémentaire ?
Oui, bien sûr. Les opérateurs opèrent et consultent sur les deux sites. Pour leur proposer des plages opératoires, il faut que je sache ce qu’ils font et où ils le font. On évite d’opérer sur les deux sites le même jour pour que les chirurgiens puissent suivre leurs patients au mieux et ne perdent pas de temps sur la route. Cela diminue le pool des opérateurs disponibles. Au lieu de pouvoir gérer les volumes entre neuf salles, j’en ai six d’un côté et trois de l’autre, ce qui est extrêmement contraignant. Le travail multisite dans des filières médicales cantonales diminue la souplesse de l’organisation.

BIO EXPRESS :

  • 1973     Naissance à Langenthal (BE)
  • 2002     Diplôme de médecine de l’Université de Berne, suivi d’une spécialisation en chirurgie générale
  • 2002     Médecin assistant en chirurgie à l’hôpital de Belp (BE)
  • 2004     Médecin assistant puis chef de clinique adjoint en chirurgie à l’hôpital de Bienne
  • 2008     Chef de clinique au RHNe
  • 2011     Chef de clinique à l’hôpital de Bienne
  • 2013     Chef de clinique à l’hôpital de Wolhusen (LUKS)
  • 2014     Médecin hospitalier en chirurgie générale au RHNe
  • 2016     Responsable de la programmation des blocs du RHNe
  • 2023     Médecin-chef adjoint au RHNe