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Par Trinidad Barleycorn

Mélie et sa mère Laure Galvani. Photos © Guillaume Perret

«J’ai su que quelque chose n’allait pas chez ma fille quand elle avait trois jours. Mais les médecins nous disaient qu’on était juste des parents angoissés, explique Laure Galvani, ergothérapeute de formation. À 3 ans, l’épilepsie a commencé et ils ont admis qu’il y avait un problème.» Lequel? Impossible à dire à l’époque. Mais Mélie, née en France en 1997, trois ans après sa soeur, fera des crises jusqu’à ses 14 ans. Elle souffre aussi d’hypotonie, de douleurs, de troubles de la mémoire et de la concentration, et vit avec un stress et une fatigue qui ne la quittent jamais. «Elle doit dormir au moins 10 heures. Puis encore 2-3 heures dans la journée», précise Laure. «Malgré cela, il m’arrive de m’endormir au travail», complète sa fille, employée à 30% à l’atelier ARHIANE chez Foyer Handicap Neuchâtel.

Il y a deux ans, un diagnostic a enfin été posé: un syndrome génétique incurable, qui touche environ 280 personnes dans le monde et n’a été identifié qu’en 2015. Aujourd’hui, Mélie Galvani a son propre appartement, juste en dessous de celui de ses parents. Tous les soirs, elle monte chez eux câliner son chat Léo, son «anti-stress». La journée, elle, s’articule autour de l’accompagnement que lui fournissent ses parents. «Il faut la réveiller, lui rappeler les choses, lui dire qu’elle doit partir en thérapie ou au travail, l’aider dans la gestion de son ménage. Cela prend du temps, mais représente surtout de la charge mentale, car avec son père, on doit gérer son agenda, en plus des nôtres, et s’adapter pour être disponibles. Je dis toujours qu’être proche aidant, c’est gérer une petite entreprise!» La cohabitation pose-t-elle parfois problème? «Nous n’avons jamais eu de conflit, répond Mélie. Et si ça n’allait pas, je pourrais le dire à ma mère. Mais elle le verrait de toute façon.»

Laure Galvani retrace le parcours de sa cadette, leur parcours, tant leurs histoires se délient peu. L’enfance, en France d’abord, entre école enfantine et thérapies, l’impossibilité de la confier à une maman de jour et donc, le travail à temps partiel; la demande d’inscrire Mélie en école publique refusée, puis sa scolarité en institution spécialisée et le déménagement pour s’en rapprocher, car les trajets quotidiens la fatiguent trop. Ses thérapies se déroulant sur place, Laure et son époux, professeur au lycée, peuvent alors reprendre une activité à 100%. Mais l’organisation reste rigoureuse: «Aucun retard n’était admis quand le taxi-bus du centre venait la chercher. Ils font trois minutes d’arrêt par enfant. Or, préparer Mélie prenait du temps et le stress empirait tout. Il fallait donc la lever plus tôt alors qu’elle avait besoin de sommeil. Et quand elle n’était pas bien, l’un de nous devait rester.»

Photo © Guillaume Perret.

À 16 ans, quand sa scolarité obligatoire prend fin, Mélie Galvani exprime son désir de poursuivre ses études. Sa mère, Genevoise d’origine, décide alors de rentrer dans son pays où une prolongation de scolarité est possible jusqu’au 18e anniversaire. Le couple trouve du travail à Neuchâtel et leur cadette suit une formation spécialisée.

Le sort s’acharne: on diagnostique une maladie chronique à leur aînée à l’âge de 24 ans. «Même si elle est autonome, elle a aujourd’hui du mal à prendre les transports, donc je fais aussi le taxi pour elle.»

    «Maman, j’aime ma vie!»

    Comment faire face au risque d’épuisement quand le rôle de parent est à ce point imbriqué avec celui d’aidant? «À mon poste actuel de conseillère pédagogique, j’ai une grande flexibilité pour répartir mes 40 heures et Mélie est plus indépendante. Mais auparavant, j’ai eu des moments de découragement: il fallait l’aider au mieux sans négliger sa sœur, être au top au travail. À cela s’ajoute la grande tristesse d’avoir deux enfants atteintes dans leur santé.» Son conseil pour tenir sur la durée: garder des moments pour soi. Elle-même se ressource grâce à la marche, à son activité de conteuse et à son rôle de présidente de l’Association neuchâteloise des proches aidants. «S’engager pour un proche, c’est un travail. Le risque existe de devenir maltraitant par fatigue. C’est pourquoi il faut savoir demander de l’aide. Beaucoup de structures existent pour le proche aidé. Avec notre association, nous soutenons l’aidant, car on sait qu’un aidant fatigué, c’est un aidé dont la vie peut difficilement se poursuivre hors institution.»
    Être le garant du maintien à domicile de son enfant, c’est aussi avoir à s’interroger sur l’avenir, ses limites physiques et l’après. Mère et fille en parlent souvent. «Je ne m’imagine pas dans mon appartement sans son aide», confie Mélie. Quand le moment sera venu, elle souhaite prendre un logement à Foyer Handicap Neuchâtel. «J’aimerais aussi ajouter que je l’aime très fort, ma mère», glisse-t-elle en conclusion. «Elle me fait des cadeaux tous les jours avec ses mots gentils, dit Laure, émue. Une petite phrase comme ça, ou comme «Maman, j’aime ma vie», me donne beaucoup d’énergie.»

     

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