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Le deuil périnatal concerne 1,5 à 2% des grossesses* entre la conception et quelques jours après la naissance. Un sujet encore tabou, tant il est douloureux de le relier à l’acte de donner la vie.
Un couple témoigne

« On ne se remet pas. On apprend à vivre avec »

Neuchâtel, le 21 novembre 2020. Photos © Guillaume Perret / Lundi13

Dans la cuisine de Stéphanie et Christophe, le soleil entre à grands rayons ce matin-là. Comme pour réchauffer la vie alors que le couple raconte la mort périnatale de leur petite fille, Emma, à quelques jours de son arrivée au monde. «Nous voulons partager, avant tout pour dire merci à toute l’équipe de la maternité de l’hôpital Pourtalès, à tous ces gens si bienveillants, altruistes et merveilleux que nous avons croisés lors de ce terrible drame. Ils ont été si justes qu’un simple «merci» n’est pas du tout suffisant», explique Stéphanie. Son mari, Christophe, a un autre message: «Nous sommes tellement tombés des nues… A aucun moment de la grossesse, la mort périnatale n’est évoquée. Nous n’étions absolument pas préparés. Nous sommes informés de toutes sortes de problèmes potentiels, mais le deuil périnatal n’apparaît jamais. C’est important d’évoluer à ce sujet.»

Ce 27 août 2019 commence par une visite de routine chez le gynécologue. Les futurs parents s’y rendent à deux. Le bébé va bien: la naissance par césarienne est programmée le 5 septembre, ce sera le second enfant du couple. En début de soirée, quelques contractions légères, puis régulières, incitent Stéphanie à appeler l’hôpital qui convie les parents à une nouvelle visite. «Personne n’était inquiet, c’était peut-être du faux travail», souligne Christophe. A l’arrivée à l’hôpital, la sage-femme ne trouve pas le pouls du bébé. Pas d’inquiétude, elle va chercher une collègue. Puis la gynécologue pour une échographie. Les parents, eux, pensent surtout à un bug technique. Mais les mots de la médecin tombent, glaçants. «Je suis désolée Madame. Le petit coeur de votre bébé s’est arrêté.»

«Ces mots. Le monde entier te tombe sur la tête. Tu te dis «mais non, tu te trompes, ce n’est pas possible, va chercher quelqu’un d’autre, recommence l’examen, tu te trompes…» C’est pas vrai, ça ne peut pas être vrai… C’est impossible de croire à une telle nouvelle», raconte Stéphanie, très émue.

Très vite, l’équipe fait bloc autour des parents, très choqués. Pare à tous les besoins, soutient quand il le faut, s’éclipse à d’autres moments. «Tout a été juste». La chambre dans laquelle Stéphanie est installée est loin de la maternité, il n’y aura pas de pleurs de bébés à portée d’ouïe. Chaque soin se fait avec un moment d’attention particulière. «Un ton neutre, des voix douces, sans injonction, ni obligation. Cela a été très important: nous avions plusieurs personnes autour de nous, mais nous avons eu l’impression que chacune était à l’unisson et ça a eu un effet très sécurisant… Puis, dans ce cauchemar, émerge une question cruciale. «Comment annonce-t-on à sa fille de 5 ans que sa petite soeur est morte ? Cela a été le plus terrible. Là encore, l’équipe a su nous répondre: la pédopsychologue allait venir. Elle s’avérera adéquate, magnifique. Encore un soutien venu de l’hôpital. Nous n’avons jamais été lâchés, le soutien reste total.»

« Nous venions accueillir notre petite fille et nous nous retrouvions à choisir un cercueil  »

L’accouchement aura lieu au plus vite. «Je voulais voir ma fille: je n’y croyais pas du tout», raconte Stéphanie, qui doit décider d’une autopsie, ou non, pour son enfant. «Nous avons choisi de la laisser intacte.»

Il y a, ensuite, la rencontre avec leur bébé. «Je l’ai prise dans mes bras… Elle était toute belle, toute chou, toute choupinette… Elle ressemblait à sa grande soeur, Margaux: on aurait dit qu’elle était simplement endormie, avec ses petites joues toutes mignonnes qui invitaient aux bisous. La seule chose qui était différente, c’est qu’elle était froide, qu’elle ne bougeait pas». Sur proposition de la sage-femme, quelques photos sont prises, les empreintes du bébé sont conservées. C’est important, pour plus tard. Pour le deuil.

Le deuil, justement. Et les funérailles. «Nous venions accueillir notre petite fille et nous nous retrouvions à choisir un cercueil…» Mais là encore, entourés comme dans «une bulle de coton», les parents sont accompagnés, pas à pas, sans pression. La cérémonie se fera à l’hôpital avant l’inhumation en France. A dix heures d’ici. «C’est notre terre, c’est sa place. Nous la rejoindrons, plus tard.»

«Emma est décédée dans mon ventre le 27 août, officiellement le 28. C’est une petite fille de 3,4 kilos, 48 centimètres. C’est ainsi que, au lieu d’accueillir notre enfant, à 39 ans, nous sommes allés choisir un caveau, et avons préparé un enterrement au lieu d’une liste de naissance. C’est comme si nous étions amputés d’un bras. On ne se remet pas, mais on apprend à vivre avec».

Bientôt, leur petit garçon arrivera au monde. Une manière, encore une fois, d’inviter le soleil et ses rayons, comme pour réchauffer la vie.

*Statistiques RHNe 2016-2020