Par Clémence Planas
En fonction depuis le mois de novembre 2023, Jean-Luc Sonnay est le « Monsieur développement durable » du RHNe. Il a notamment pour missions de recenser les actions déjà entreprises au sein de l’institution, d’établir un bilan carbone des différents sites, de coordonner l’identification et la priorisation des enjeux pour les parties prenantes, des objectifs d’amélioration et des plans d’actions et d’accompagner la mise en place de projets allant dans le sens de la durabilité. Interview.
La responsabilité sociétale des institutions et le développement durable sont devenus des thèmes incontournables. Quelle est la situation au RHNe ?
Jean-Luc Sonnay : En effet et heureusement ! Aujourd’hui, cette thématique s’est progressivement imposée dans les agendas de la plupart des institutions et des entreprises. Pourtant, il a fallu attendre des décennies pour que cela soit le cas, sachant que le premier rapport alarmant sur l’état de l’environnement, publié par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, basée en Suisse), date de 1950.
En 1972, le Club de Rome, qui sort encore régulièrement des publications, a posé un jalon en dénonçant les dangers d’une croissance exponentielle du point de vue de l’épuisement des ressources, de la pollution et de la surexploitation des systèmes naturels. Une première conférence de l’ONU a eu lieu la même année. La notion de développement durable a ensuite été théorisée dès 1979. En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (rapport Brundtland) a popularisé le terme en le définissant comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs».
Le concept a été consacré par le premier Sommet de la Terre organisé à Rio de Janeiro en 1992, et a évolué pour inclure les trois piliers connus aujourd’hui : environnemental, social et économique. En anglais, on parle des 3 P : Planet, People, Profit. Plus récemment, l’ONU a fixé un Agenda 2030 qui s’articule autour des 17 Objectifs de développement durable (ODD), sur lesquels nous nous sommes basés pour sonder l’ensemble des collaborateurs du RHNe en octobre dernier. Et tout le monde a entendu parler des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur l’évolution du climat, à la base des objectifs de réduction des émissions CO2 et d’une volonté « zéro émission » d’ici 2050. Il en découle des actions aux différents échelons politiques, comme le Plan climat du canton de Neuchâtel. Et le cadre réglementaire évolue aussi rapidement, en Europe et en Suisse.
Au RHNe, une première initiative transversale de management durable a eu lieu en 2019, orientée vers des actions environnementales. Cela a apporté des améliorations durables, par exemple sur la gestion des déchets. De gros efforts ont également été entrepris sur les aspects énergétiques des bâtiments et des installations.
L’objectif aujourd’hui est de développer une politique de responsabilité sociétale cohérente et qui nous permette d’apporter notre contribution aux objectifs de développement durable. Les enjeux sont systémiques dans la mesure où l’activité des organisations comporte des implications touchant à des champs très divers et interdépendants.
À ce sujet, il est utile de savoir que les lignes directrices de la Responsabilité sociétale, à la fois des organisations (RSO) et des entreprises (RSE), ont été formalisées en 2010 dans la norme ISO 26000. Ce cadre de référence, qui a fait l’objet d’un large consensus international, est d’application volontaire et non certifiable. Il définit la RSO comme «la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur et est en accord avec les normes internationales de comportement, est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations».
Une politique RSO doit être intégrée dans la stratégie et la gouvernance institutionnelle. Elle s’appuie sur deux piliers :
- La prise en compte et l’intégration des attentes des parties prenantes (patients, collaborateurs, dirigeants, partenaires, voisins, etc.) dans la conduite des affaires de l’institution ;
- Le principe d’amélioration continue des pratiques et des performances sociétales.
« Il n’y aura pas de progrès social sans une économie saine; il n’y aura pas d’économie du tout sur une planète morte; il n’y aura pas de transition écologique sans progrès social et réduction des inégalités», écrivait Philippe Saint-Aubin dans le Rapport sur la responsabilité sociétale des organisations : dynamique européenne et outils internationaux, paru en 2019 dans le Journal officiel de la République française.
Pourquoi impliquer les collaborateurs et collaboratrices dans la démarche ?
Parce que seul on ne va pas loin… Pour porter ses fruits, une démarche RSO doit absolument être soutenue par les organes de gouvernance (Conseil d’administration du RHNe, Collège des directions), mais également mobiliser l’intelligence collective et être relayée par des ambassadeurs et ambassadrices sur le terrain. Certaines études suggèrent que, de manière générale, l’adhésion d’environ 15 à 30% de l’organisation permet à un changement de devenir fédérateur.
Par ailleurs, les collaborateurs sont une partie prenante clé, qui plus est dans une institution centrée sur l’humain comme un établissement de soins. Et nous avons la chance, au RHNe, d’avoir un terreau fertile de professionnels concernés et désireux de se mobiliser, par exemple, les membres du Cercle pour des soins durables ou les 43 personnes qui sont portées volontaires pour participer à de futurs groupes de travail. Ces acteurs du changement contribueront à identifier les thématiques sur lesquelles agir collectivement.
Il y a aussi un enjeu de motivation du personnel et d’attractivité du RHNe comme employeur.
Des actions de sensibilisation (par exemple la Fresque du climat, proposée dans le catalogue de formation interne) permettront de créer une base commune de compréhension des enjeux, qui pourront ensuite être débattus au sein d’ateliers participatifs.
Je rêve d’un hôpital qui ait à cœur de réduire ses impacts négatifs, implique l’ensemble de ses parties prenantes et travaille à l’écoconception de ses structures et de ses pratiques de soins. En gardant bien entendu le patient au centre de toutes les préoccupations.
Quelles sont les prochaines étapes à court terme ?
Un plan de mobilité est en cours de réflexion. Et, à partir du 4 mars, nous démarrons l’élaboration d’un bilan carbone complet du RHNe, accompagnés par un consultant, et en utilisant une plateforme informatisée.
Le bilan carbone permettra de quantifier les émissions de gaz à effet de serre générées par nos activités, directement et indirectement, par sites et par catégories d’émissions pertinentes (définies par le Greenhouse Gas Protocol-GHG et conformément aux exigences de la norme ISO 14064). Il s’agira notamment d’analyser les impacts de la consommation d’énergie, de la mobilité, de l’alimentation, des déchets, des médicaments et des autres achats.
Des objectifs et des indicateurs seront identifiés en vue de plans d’actions de réduction de notre empreinte carbone et du suivi des résultats sur une base annuelle.
Bien sûr, même si on en parle beaucoup, il n’y a pas que l’empreinte carbone qui compte, et on pourra envisager de compléter notre bilan, par exemple par une analyse d’impact sur la biodiversité.
Je prévois également de lancer prochainement une enquête de maturité, à l’aide du référentiel ESR (Association des Établissements de soins responsables). Une démarche, déjà entreprise une première fois en 2019, qu’il s’agira d’actualiser et d’approfondir, et qui permettra d’avoir une auto-évaluation de la maturité de nos pratiques, et un potentiel d’amélioration de l’institution en matière de RSO.
Une cartographie des parties prenantes externes, ainsi qu’une identification des enjeux pertinents par l’élaboration d’une matrice de matérialité, qui croise l’importance des enjeux aux yeux des dirigeants et des autres parties prenantes, seront également des étapes clés de ce processus.
Finalement, dans les mois à venir, je vais travailler sur un projet de rapport extra financier.
Les hôpitaux suisses sont confrontés aux mêmes problématiques. Comment se fait le partage d’expériences ?
Le niveau d’expérience et les réalités de terrain et d’environnement institutionnels varient d’un établissement à l’autre. Cependant, on voit que la tendance est à nommer des responsables RSO dans les hôpitaux, à analyser les impacts et à prioriser des actions de réduction.
Nous nous sommes regroupés au sein du Réseau des responsables durabilité des hôpitaux romands, qui s’est constitué fin 2023. Avec justement pour but des partages d’expérience et de bonnes pratiques.
Plus spécifiquement dans le domaine médico-soignant, un Réseau de soins durables romand voit également le jour. Le 13 mars prochain, un premier symposium, co-organisé par le RHNe, aura lieu aux HUG et portera sur la transition dans les soins.
En terme de développement durable, quelle est votre vision de l’hôpital idéal ?
En tant que grand émetteur de CO2, mais aussi en tant que secteur qui va subir les conséquences du changement climatique et de la dégradation de l’environnement, il est impératif que les établissements de santé jouent leur rôle dans la lutte contre ces problèmes.
Je rêve d’un hôpital qui ait à cœur de réduire ses impacts négatifs, implique l’ensemble de ses parties prenantes et travaille à l’écoconception de ses structures et de ses pratiques de soins. En gardant bien entendu le patient au centre de toutes les préoccupations, mais avec un axe fort de prévention et de promotion de la santé.
Pour terminer, je citerai Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé: «Les établissements du secteur de la santé sont le centre opérationnel des prestations de services, pour protéger la santé, traiter les patients et sauver des vies. Mais les établissements sanitaires sont aussi une source d’émissions de carbone qui contribue au changement climatique. Les établissements sanitaires du monde entier produisent du CO2 en utilisant d’importantes ressources et des équipements énergivores. Cela peut paraître ironique, puisque notre engagement en tant que professionnel de la santé est tout d’abord, de ne pas nuire. Les lieux de soin devraient ouvrir la voie, et non contribuer à aggraver la maladie.»