En collaboration avec Arcinfo, Le Rendez-vous Santé
Une femme sur dix souffre d’endométriose, une affection douloureuse qui provoque des réactions inflammatoires chroniques avec de possibles impacts sur la fertilité. S’il n’existe pas de remède miracle, la prise en charge a beaucoup évolué avec des réponses multidisciplinaires ciblées. C’est pourquoi le département de gynécologie obstétrique du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe) a entrepris d’aligner sa consultation d’endométriose aux meilleurs standards. Il vise une certification européenne – en Suisse, elle n’existe pas encore. «On espère la décrocher fin 2024», lance le Dr Patrick Chabloz, médecin-chef de service spécialiste de la fertilité et de l’endométriose. Interview.
Encore méconnue il y a trente ans, l’endométriose semble affecter toujours plus de femmes…
En tant que chirurgien, je vois nettement plus de cas d’endométriose qu’auparavant, c’est un fait. J’ai sensiblement plus de patientes qui consultent pour cette maladie aujourd’hui qu’à mes débuts. Les rares cas que j’avais à l’époque concernaient des femmes de plus de 35 ans. Or, aujourd’hui, l’âge moyen du diagnostic se situe vers 25-27 ans. La maladie peut déjà concerner des adolescentes, mais rarement avant 17 ans. Actuellement, l’endométriose affecte 10% des femmes en âge de procréer au plan mondial, ce qui est considérable! C’est la même incidence que le cancer du sein, sauf que contrairement à ce dernier, il n’y a pas de programme de dépistage… Si les causes ne sont pas formellement établies, il apparaît que l’hérédité entre en ligne de compte.
Comment se manifeste cette maladie?
C’est une affection inflammatoire évolutive qui se caractérise par le développement de tissu de la muqueuse utérine (endomètre) en dehors de l’utérus. Des îlots peuvent se fixer et croître sur d’autres organes comme les ovaires, le péritoine, la vessie ou les intestins. Les symptômes se manifestent durant les règles, car le sang provenant des foyers d’endométriose ne peut pas s’évacuer comme le fait le sang menstruel en s’écoulant par le vagin. Ces foyers réagissent de manière périodique, à l’instar de la muqueuse utérine normale, car ils subissent l’influence du cycle menstruel.
Les symptômes les plus fréquents?
Principalement des règles très douloureuses et avoir mal pendant les rapports sexuels. Mais la maladie peut être silencieuse, le degré des douleurs n’est pas forcément corrélé à l’importance des lésions. Il arrive que des patientes soient asymptomatiques avec des atteintes importantes. Selon où les foyers sont localisés, ils ne font pas forcément mal.
Quels signes devraient amener à consulter?
En premier lieu, des règles accompagnées de douleurs qui vont en augmentant, année après année… Cela peut aller très loin, au point que la patiente rencontre des difficultés à aller travailler et soit obligée de multiplier la prise d’anti-inflammatoires pour que cela passe. Elle peut aussi ressentir des douleurs au fond du vagin durant les rapports sexuels.
Comment établissez-vous le diagnostic?
Nous commençons par une anamnèse, puis réalisons un examen clinique et une échographie, s’il y a des nodules par exemple. Lorsqu’il y a un faisceau d’indices, nous préconisons une IRM: c’est le meilleur moyen de découvrir l’étendue des lésions. Mais il existe désormais un test salivaire de dépistage de l’endométriose basé sur l’analyse des micro-ARN, sorti mi-2023. C’est un moyen de diagnostic formidable (il est sûr à 95% en cas de résultat positif), qui permet d’identifier aussi bien l’endométriose superficielle (péritoine pelvien) que profonde. Ce test pourrait éviter un certain nombre de gestes opératoires pratiqués aujourd’hui. Sauf qu’il coûte 800 francs et n’est pas pris en charge par l’assurance maladie…
Dépister tôt a son importance, dans la mesure où l’endométriose peut impacter la fertilité…
C’est effectivement l’une des causes de l’infertilité féminine, car cette affection va générer une inflammation importante. Parmi les femmes qui consultent pour un problème de fécondité, 25 à 50% sont atteintes d’endométriose. Parfois, c’est le phénomène inflammatoire qui provoque l’infertilité, alors que dans d’autres cas, celle-ci est due à l’altération des trompes provoquée par les foyers d’endométriose. Les effets peuvent être chimiques ou physiques. Il n’empêche, un certain nombre de patientes tombent enceintes après une prise en charge, donc endométriose ne veut pas dire stérilité!
Quelle solution thérapeutique pouvez-vous proposer?
La base du traitement, c’est une médication à base de progestérone pour produire une aménorrhée (absence de règles) chez les femmes atteintes. Elle va engendrer une atrophie de l’endométriose. La chirurgie peut aussi être indiquée en fonction de la localisation des lésions, par exemple quand un foyer infiltre la vessie. Mais, en général, l’opération seule ne suffit pas: deux ans après, il y a récidive dans 70% à 90% des cas si elle n’a pas été suivie d’un traitement médicamenteux. Par conséquent, il faut faire une pesée d’intérêts: la progestérone a un effet contraceptif, or la plupart des patientes sont en âge de procréer… S’il y a un projet d’enfant, nous opérons et traitons la personne pendant quelques mois pour maximiser les effets de la chirurgie. En parallèle, nous préconisons une analyse du sperme du partenaire. En concertation avec la patiente, nous définissons un timing de la prise en charge. C’est toujours délicat, car, ce faisant, nous mettons inévitablement de la pression sur ces femmes.
Les progrès de la prise en charge
«L’endométriose est en train de devenir une sous-spécialité de la gynécologie. C’est d’ailleurs la pathologie la plus jeune de notre domaine», illustre le Dr Patrick Chabloz. «On aimerait être beaucoup plus prédictif, réagir à la maladie plus vite, avant que les symptômes ne soient là… Cela dit, il y a eu d’importants progrès dans la prise en charge, avec la mise en place de schémas opératoires et de consultations multidisciplinaires.» Celles-ci rassemblent autour du gynécologue un éventail de compétences, qui vont du chirurgien spécialiste aux consultants en urologie et en sexologie, en passant par des radiologues à jour avec les spécificités des lésions causées par la maladie, des infirmières formées à l’accompagnement psychologique, des physiothérapeutes…
Le Département de gynécologie-obstétrique du RHNe travaille actuellement à réunir les critères pour obtenir une certification européenne dans la prise en charge de la pathologie. Si tout va bien, ce sera chose faite à la fin de cette année.