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Par Brigitte Rebetez

Marianela Leitenberg et Moriana Lopez, Hopital Pourtales, Neuchâtel, le 25 mars 2022. Photos © Guillaume Perret / Lundi13

Encore largement tabous, les problèmes d’ordre sexuel sont au cœur d’une consultation ouverte en 2018 au département de gynécologie et obstétrique du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNE). Les patients sont pris en charge individuellement ou en couple par l’infirmière spécialisée en sexologie clinique et sexothérapie Marianela Leitenberg, qui travaille en collaboration avec la physiothérapeute Coral Lopez Moriana, formée à la rééducation périnéale, et la psychologue psychothérapeute spécialiste en sexologie clinique Amandine Friedmann, du Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP). Comment ça marche? Les explications de Mesdames Leitenberg et Lopez Moriana.

A qui s’adresse la consultation de sexologie?
Marianela Leitenberg: Les consultations en sexologie du RHNE et du CNP s’adressent aux adultes qui rencontrent un problème de santé sexuelle. Elles se veulent inclusives: toute personne sera accueillie, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre. Dans la pratique, nous recevons une majorité de femmes, dont un nombre important à la suite d’une maladie, comme le cancer du sein. Mais je vois aussi des hommes concernés par un problème de prostate, par exemple. Le suivi psychothérapeutique vise à mieux cerner les blocages mentaux qui perturbent l’épanouissement sexuel.

Coral Lopez Moriana: Pour ma part, j’accompagne des personnes avec des problèmes très divers pour une rééducation périnéale. Cela comprend des incontinences urinaires et fécales, la rééducation pré- et post-accouchement, la gestion de l’endométriose et des sphères plus intimes comme des problèmes sexuels. Il s’agit principalement de difficultés ou douleurs en lien avec la pénétration et l’orgasme. La rééducation périnéale vise à améliorer la qualité de vie des patients, mais elle reste encore trop méconnue. Selon la pathologie en cause, j’élabore une stratégie thérapeutique en ciblant le problème à traiter, par exemple endométriose et douleurs.

Le profil des patientes?
L.: Ma patientèle se compose principalement de femmes atteintes d’un problème de santé aigu ou chronique qui affecte la sphère gynécologique: douleurs pelviennes chroniques, cancer du sein, cancer gynécologique… La plupart des patient(e)s sont adressés par un médecin. En physiothérapie, les patient(e)s ont besoin d’une ordonnance médicale pour que la séance soit prise en charge par l’assurance de base.

Qu’est-ce qui amène les patients à consulter?
L.: Malgré le fait que la sexualité est surexposée dans notre société, de nombreuses personnes souffrent de problèmes intimes pendant des années sans oser en parler, c’est assez paradoxal… Le tabou demeure même chez certains professionnels de la santé. Heureusement, cette souffrance est toujours mieux prise en compte dans notre institution et la prise en charge sexologique des patients est considérée comme faisant partie intégrante de la santé globale: les gynécologues, urologues, oncologues, de même que le Centre du sein et la consultation ménopause du RHNE nous envoient des patientes.

La sexualité est une composante à part entière de notre santé.” MARIANELA LEITENBERG INFIRMIÈRE SPÉCIALISÉE EN SEXOLOGIE CLINIQUE ET SEXOTHÉRAPIE

Nous avons un rôle de liaison entre les différents professionnels. Le principal motif de consultation est la souffrance: lorsqu’une personne ou un couple n’arrive plus à gérer sa problématique sexuelle, sa qualité de vie est fréquemment compromise. La sexualité est une composante à part entière de notre santé! Je fais d’ailleurs volontiers l’analogie avec le sommeil: quand on a des difficultés récurrentes à dormir, cela finit par affecter sa santé et générer une souffrance physique, ce qui nous conduira à consulter. Il devrait en aller de même pour sa santé sexuelle… C.L.M.: La raison principale, parmi les patientes que je traite, c’est la douleur et sa gestion. Plus le problème dure, plus il modifie la vie des personnes. Lorsque la douleur est liée à la sexualité, la plupart du temps les patientes évitent ces moments désagréables pour elles. Il m’est arrivé d’accompagner des femmes dont les rapports sexuels étaient devenus impossibles depuis une césarienne faite quinze ans auparavant. J’ai aussi suivi une patiente qui, en raison de douleurs durant les rapports, a développé un vaginisme empêchant toute pénétration. Il est important de savoir que ces dysfonctions peuvent se développer et qu’il est possible de les traiter. La première étape, c’est de travailler sur les idées préconçues et déconstruire les tabous. Mon objectif est que la patiente puisse à nouveau être actrice de sa propre sexualité.

Quelles sont les causes des dysfonctionnements?
L.: Elles peuvent être d’origine somatique (résultant d’un problème physique ou psychique) ou sexologique (difficulté en lien avec le désir, l’excitation, la pénétration ou l’orgasme). Les causes peuvent aussi résulter de problèmes au sein du couple ou de la prise de substances (médicaments ou drogues). Certains antidépresseurs et traitements oncologiques ont un impact direct sur le désir sexuel, par exemple. Cela dit, nous ne sommes pas tous égaux devant les effets secondaires des médicaments…

Un problème de sexualité, c’est forcément une souffrance?
L.: Oui et non, tout dépend de la douleur physique et psychique ressentie par le ou la patient(e) et/ou son couple, mais aussi de l’importance de la sexualité dans leur vie. Certaines personnes vivent bien dans une relation où le lien avec leur partenaire ne passe pas par les rapports sexuels. Pour d’autres, en revanche, la sexualité est essentielle et il leur est difficile de s’en passer lorsqu’un problème de santé induit des changements dans la vie intime.

Un suivi individualisé

Un suivi individualisé « Quand une personne prend rendez-vous, elle a déjà fait un grand pas en avant », relève Marianela Leitenberg. La prise en charge de l’infirmière spécialisée en sexologie clinique commence par une clarification du motif de consultation. Dans un deuxième temps, elle effectue une anamnèse globale et multidimensionnelle pour évaluer la situation, établir des hypothèses de travail et un plan thérapeutique. Pour atteindre les objectifs définis, elle propose une approche intégrative. En physiothérapie, les séances de la spécialiste de rééducation gynécologique et sexologique démarrent avec un bilan et la définition des objectifs que la personne souhaite atteindre. «Les traitements sont individualisés» détaille Coral Lopez Moriana, en précisant qu’«il est important de respecter le rythme de chacun». Plusieurs techniques peuvent être utilisées, comme les massages, le renforcement musculaire, les étirements, le biofeedback, la thermothérapie, l’électrothérapie, la diathermie… Interrompus par la pandémie, les « ateliers sexo » vont reprendre plus tard cette année. Ils sont consacrés à des thèmes fréquemment soulevés en consultation (désir en berne, fausses croyances, etc.) et visent à informer et échanger.