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Par Brigitte Rebetez

Dre Sandra Van Den Broecke (à g.) et Dre Gianina Luca en consultation avec une patiente, à Pourtalès. Photo © Guillaume Perret / Lundi13

Dormir comme un loir, c’est parfois mission impossible. Apnées obstructives, insomnies, désordres du rythme veille/sommeil, syndrome des jambes sans repos, parasomnie ou hypersomnie, les troubles du sommeil concernent 34% de la population, selon l’Observatoire suisse de la santé. Un problème de santé publique en hausse constante, comme en témoigne la fréquentation exponentielle de l’unité d’exploration du sommeil et de l’éveil du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe) créée en 2018. Le point avec son instigatrice, la Dre Sandra Van den Broecke, pneumologue et somnologue, qui collabore aussi avec le laboratoire du sommeil du CHUV.

Pourquoi les troubles du sommeil sont-ils si fréquents?
Cela s’explique par plusieurs facteurs. La médecine du sommeil est une discipline jeune, en développement, ce qui fait que les gens se sentent plus légitimes à venir parler de leurs troubles. Parmi les patients que je vois, certains me disent que cela fait des années qu’ils sont en souffrance. Nous constatons une tendance à la hausse des insomnies et des troubles veille/sommeil, d’autant plus qu’ils ont été exacerbés par les mesures de confinement dues au Covid. On parle aussi davantage des apnées obstructives du sommeil parce qu’elles augmentent les risques cardio-vasculaires. Sachant qu’elles sont provoquées principalement par le surpoids et l’obésité – dont la prévalence est en augmentation, il y a plus de patients à diagnostiquer et à traiter. Les pneumologues ne sont plus seuls à les dépister, d’autres spécialistes peuvent aussi les suspecter et adresser les patients à notre unité pour un bilan et une prise en charge.

34 pour cent: c’est le pourcentage de la population qui souffre de troubles du sommeil.

Quelles pathologies poussent vos patients à consulter?
Parmi les apnées du sommeil, les apnées obstructives sont les plus fréquentes. Une grande part des demandes est due à l’insomnie chronique (qui dure depuis plus de 3 mois). Il y a également les troubles du rythme veille/sommeil qui concernent notamment des ados qui se couchent très tard, des travailleurs avec des horaires en alternance jour-nuit, des seniors qui se couchent très tôt avec réveils précoces, etc. Des patients viennent aussi pour un syndrome des jambes sans repos, qui se manifeste par des sensations désagréables (picotements, brûlures) le soir et des jambes qui bougent la nuit périodiquement, générant des microréveils. De ce fait, le sommeil est fragmenté, non réparateur. Quand on dort insuffisamment de manière chronique, les risques cardiovasculaires, d’hypertension, de diabète, de dérèglements hormonaux et d’obésité augmentent. D’où une consultation pluridisciplinaire… La médecine du sommeil recouvre une palette de pathologies différentes. C’est assez vaste, avec six ou sept catégories de maladies. La consultation est pluridisciplinaire pour apporter davantage de robustesse au diagnostic. Elle réunit trois doctoresses – la psychiatre Gianina Luca, la neurologue Elissavet Eskioglou et moi-même pour la pneumologie – toutes spécialistes de somnologie. Notre équipe compte aussi cinq techniciens formés et un secrétariat (079 559 55 30) avec deux collaboratrices dédiées. Nous sommes épaulées de nuit par les physiothérapeutes de l’hôpital et de la Ligue pulmonaire.

Comment prenez-vous en charge les patients?
Dans 90% des cas, ils sont adressés par leur généraliste ou un spécialiste. Pour le reste, ce sont des appels spontanés de personnes qui souffrent de troubles depuis dix ans ou plus. Nous pratiquons des examens ciblés ou, lorsque les plaintes ne sont pas claires, un médecin de l’unité effectue une anamnèse spécifique pour rechercher la cause de fatigue, avant de proposer des examens complémentaires adéquats. Certains sont ambulatoires, comme les polygraphies (pour les apnées obstructives du sommeil) et les actigraphies. Si une analyse plus complète est nécessaire, une polysomnographie est réalisée dans notre unité d’exploration du sommeil. Un technicien équipe le patient de capteurs et d’électrodes pour enregistrer plusieurs variables (respiration, cœur, mouvement des jambes, etc.) durant une nuit. Ce bilan permet d’exclure d’autres pathologies que les troubles respiratoires nocturnes. Lorsque plusieurs pathologies coexistent (apnées et insomnies par exemple), nous prévoyons des consultations communes avec une collègue, pour associer pneumologie, neurologie et/ou psychiatrie, et permettre une prise en charge globale pour le patient.

«Nous constatons une tendance à la hausse des insomnies et des troubles veille/sommeil.» Dre Sandra Van Den Broecke, pneumologue et somnologue

Et ensuite?
Pour l’apnée obstructive, nous proposons un appareil de ventilation ou une orthèse, avec des contrôles. Les patients sont suivis par notre consultation ou leur médecin référent. En revanche, les insomnies chroniques nécessitent un suivi thérapeutique spécialisé (lire l’encadré).

La consultation du sommeil a connu un essor très rapide…
Effectivement, la demande a été plus forte qu’attendu, avec une courbe exponentielle… En 2019, nous avons délivré en quatre mois 609 consultations. Or après les quatre premiers mois de 2021, nous en sommes déjà à 789! Même tendance pour les enregistrements ambulatoires ou les polysomnographies. Plusieurs nouveaux projets vont être mis en place, à commencer par l’installation d’un équipement vidéoEEG/PSG pour investiguer les épilepsies nocturnes. Actuellement, les patients doivent être envoyés hors canton pour cet examen. Des sessions en groupe de thérapie cognitivocomportementale de l’insomnie vont être organisées par la Dre Luca et un technicien. Et, pour les apnées du sommeil, je vais augmenter le nombre de consultations sur la thérapie CPAP, conjointement avec un technicien.

«Restaurer l’architecture du sommeil»

«C’est valorisant quand des patients me disent qu’après quelques petites modifications, ils ont amélioré leur sommeil!». La psychiatre et somnologue Gianina Luca intervient au sein de l’unité d’exploration du sommeil et de l’éveil et pratique notamment des thérapies cognitivocomportementales de l’insomnie. Ce suivi personnalisé court – cinq à six rendez-vous sur six semaines environ – s’adresse aux personnes victimes d’insomnies chroniques (difficultés à s’endormir, réveils nocturnes ou aux aurores sans parvenir à retomber dans les bras de Morphée). En plus de plomber le sommeil, l’insomnie provoque une litanie d’effets indésirables, parmi lesquels sautes d’humeur, surpoids, baisse des réflexes qui accroît les risques d’accident… La thérapie vise à «restaurer une meilleure architecture du sommeil, avec un sommeil profond en début de nuit.» Anamnèse, questionnaire (qualité du sommeil, stress, habitudes dysfonctionnelles, etc.), agenda du sommeil sur quinze jours…

Après investigations, la Dre Luca regarde avec le patient comment il peut corriger le tir. «S’il y a un problème d’hygiène du sommeil, on va réintroduire des règles de base.» Dans la plupart des cas, le travail passe par une restriction de sommeil sur 21 jours, avec une plage qui s’élargit les deux semaines suivantes. Le but étant de parvenir à «dormir en continu pendant au moins six heures, sans réveils.» Dès juin, la spécialiste organisera des thérapies cognitivocomportementales de groupe co-animées par un infirmier technicien du sommeil, formé aux méthodes de relaxation. Une session comprendra quatre séances d’une heure et demie.