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En collaboration avec Arcinfo, Le Rendez-vous Santé 

Par Brigitte Rebetez

Unité d’épileptologie/Neuroréhabilitation, Pourtales, Neuchâtel, le 23 septembre 2022. Photos © Guillaume Perret

Encore tabou parce qu’elle suscite des craintes, l’épilepsie reste largement méconnue. Elle figure pourtant parmi les maladies neurologiques les plus fréquentes: elle touche 1% de la population, autrement dit quelque 1800 personnes à l’échelle du canton. Le Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe) vient de créer une unité d’épileptologie pour compléter la prise en charge déjà établi. Cette nouvelle structure permet de réaliser des investigations approfondies en stationnaire notamment. Décryptage avec son responsable le PD Dr  Martinus Hauf, spécialiste en épileptologie avec une expérience confirmée en neuro-réadaptation, et de la PD Dre Susanne Renaud, médecin cheffe du Service de neurologie.

RHNE MAG Qu’est-ce que l’épilepsie?
DR MARTINUS HAUF Il n’y a pas une, mais des épilepsies. Ce sont des maladies chroniques du cerveau qui ont des origines diverses, génétique ou symptomatique par exemple. Dans ce dernier cas, elles peuvent être dues à un traumatisme crânien, un AVC ou une malformation vasculaire, etc. La maladie peut survenir à tout âge; chez l’enfant, les formes héréditaires sont plus fréquentes. Les épilepsies génèrent différents types de crises, plus ou moins sévères… D’où la nécessité d’une prise en charge individuelle spécialisée.

Est-il possible de vivre normalement avec la maladie?

DR H. La plupart des patients peuvent être traités notamment avec une médication et continuer à mener une vie normale. D’ailleurs des figures historiques comme Jules César, Alfred Nobel ou le pape Pie IX – dont le pontificat de trente ans fut le plus long de la papauté – étaient épileptiques… On estime que 70% des épilepsies sont maîtrisées, dans le sens que le traitement empêche la survenue de toute crises. Dans les cas où la maladie n’est pas stabilisée, des investigations spécifiques sont nécessaires: le but est de trouver la cause pour pouvoir améliorer la prise en charge. C’est pour mener ces recherches que l’unité d’épileptologie a été créée.

DRE SUSANNE RENAUD Elle s’ajoute aux consultations ambulatoires que nous délivrons depuis plusieurs années au RHNe. Nous réalisons entre 1300 et 1400 EEG par an sur les sites de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds.

L’objectif de cette unité?
DR H. ET DRE R. Lorsque nous devons pousser les investigations, nous pouvons maintenant effectuer des électroencéphalogrammes vidéo de longue durée. Il s’agit d’un EEG couplé et synchronisé à un enregistrement vidéo réalisé sur 72 heures ou plus en stationnaire. Avoir des lits dédiés dans le service de neurologie nous permet aussi d’effectuer des changements thérapeutiques sous contrôle médical, car certains patients peuvent faire une crise potentiellement mortelle. Jusqu’à présent, les personnes atteintes de formes sévères – et nécessitant un suivi de longue durée – devaient se rendre dans un centre spécialisé hors canton; désormais, nous pouvons les prendre en charge à Pourtalès. Notre challenge, c’est de comprendre le lien entre l’activité du cerveau des patients et leurs symptômes, car ceux-ci peuvent être associés à d’autres pathologies, cardiaques ou suites d’un AVC par exemple. D’autant plus que cette patientèle est particulièrement sensible à la médication.

Vous vous appuyez sur un important réseau…
DR H. Effectivement, une unité d’épileptologie comprend des prestations ambulatoires (expertise médicale spécialisée, laboratoire d’électrophysiologie pour les EEG et centre d’imagerie médicale affilié), un réseau de structures (dont les neurologues installés) qui lui réfèrent prioritairement les patients avec des crises non-maîtrisées, une entité hospitalière pour les investigations diagnostiques ainsi qu’une structure d’urgence pour les patients ambulatoires qui feraient une complication lors d’une première prise en charge… Mais nous travaillons aussi avec des assistants sociaux, des psychiatres, des pédiatres ou encore des foyers pour personnes handicapées. Lorsqu’une opération est nécessaire, nous coopérons avec un Centre de chirurgie d’épilepsie – on est là dans la médecine hautement spécialisée.

Y-a-t-il eu des avancées récentes pour traiter l’épilepsie?
DR H. Le traitement repose essentiellement sur la médication. On est passé de 5 médicaments à 25 ces dix-quinze dernières années. L’avantage de ces nouvelles molécules, c’est qu’elles provoquent moins d’effets secondaires. Cela change la vie des patients! Sinon, pour certaines indications, une thérapie par stimulation électrique a été développée, mais il ne faut pas en attendre des miracles. Dans d’autres, une résection de tissu cérébral peut être envisagé pour retirer le foyer épileptique. Une solution en cours de développement qui s’annonce prometteuse, c’est l’implantation d’électrodes sous-cutanées pour la surveillance de longue durée.

Peut-on guérir de l’épilepsie?
DR H. ET DRE R. Il y a des formes rares qui disparaissent avec le temps, notamment certaines d’origine génétique. Mais lorsque les crises s’estompent ou ne se reproduisent pas durant un certain temps, il n’est pas opportun d’arrêter le traitement sans discussion avec un neurologue car le risque de récidive est élevé… Surtout qu’une crise a des conséquences directes sur la vie quotidienne, à commencer par l’interdiction de conduire. D’autre part une seule crise ne signifie pas automatiquement que l’on est épileptique: elle peut avoir été causée par un phénomène unique. Quoi qu’il en soit, elle doit être examinée par un médecin spécialisé, pour vérifier notamment quel est le risque d’une récidive.

Premiers secours

Que faire si l’on est témoin d’une crise d’épilepsie? La Ligue suisse contre l’épilepsie (Epi-Suisse) recommande de rester à proximité de la personne et la surveiller, de consulter l’heure pour noter la durée de la crise, de veiller à ce que la victime ne se mette pas en danger ou se blesse. «Il faut regarder qu’elle respire correctement et bien observer comment se déroule l’épisode pour pouvoir expliquer aux secours ce qui s’est passé», ajoute la Dre Susanne Renaud. «La crise peut aussi être due à autre chose, comme une syncope. Une compétence diagnostique est nécessaire pour établir la cause d’une perte de connaissance.» Selon Epi-Suisse, l’organisation pour les personnes atteintes d’épilepsie et leurs proches, il ne faut pas hésiter à appeler illico les urgences sanitaires (numéro 144) si la crise dure plus de 5 minutes ou lorsque plusieurs épisodes se succèdent, si la personne ne reprend pas conscience, qu’elle a des blessures graves, ne respire plus correctement ou qu’il s’agit de sa première crise de ce type.