Comment s’organise l’hôpital pour échanger avec les patient-e-s non francophones? Gros plan sur la maternité avec les propos d’une future mère réfugiée et d’une sage-femme conseil.
Nous avons rencontré Tangreha, enceinte de 8 mois, à la maternité du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe), sur le site de Pourtalès, Neuchâtel, après une consultation. Une situation loin d’être anodine pour cette femme de 28 ans, réfugiée sri lankaise arrivée en Suisse moins d’un an auparavant. Elle ne parle pas français, tout juste un peu d’anglais.
Si nous parvenons à échanger, c’est par l’intermédiaire d’un téléphone posé sur la table: à l’autre bout du fil, une interprète traduit nos propos en direct. Ce moyen de communication fait toute la différence pour la future maman. «Quand une consultation se déroule sans interprète, c’est difficile pour moi. J’essaie de me débrouiller comme je peux en anglais…» Tangreha a certes commencé un cours de français, mais il y a un mois à peine. Pour l’accouchement, elle ignore si l’interprète sera présente, «mais ce serait mieux qu’il y ait quelqu’un pour traduire», souffle-t-elle timidement. Comment se sent-elle? «Ça va», lâche la jeune femme. Ce qui lui importe le plus désormais, «c’est d’avoir un bébé en bonne santé».

Les sages-femmes conseil du RHNe (de g. à dr.): Céline Jeannet, Levana Blum, Nathalie Fischer. © Guillaume Perret
Dans le centre d’asile où elle vit, elle n’a ni famille, ni compatriotes avec qui échanger dans sa langue. Mais elle souligne que la femme turque qui partage sa chambre l’aide énormément, «par exemple pour venir à l’hôpital. Mais cette dame ne sait pas l’anglais, alors nous essayons de communiquer par l’intermédiaire de Google traduction.»
Enceintes et fragiles
En marge des contrôles médicaux, Tangreha est suivie par Levana Blum, l’une des trois sages-femmes conseil du Réseau hospitalier neuchâtelois (RHNe). Leur mission consiste à offrir un soutien aux femmes enceintes en situation de vulnérabilité. Problèmes psychiques, addictions, précarité, violences conjugales, migration… Les causes à l’origine d’une fragilité peuvent être très diverses. «Un grand nombre de patientes nous sont envoyées par la policlinique. Ce relais fonctionne bien au sein de l’hôpital. En revanche, les intervenants externes ne pensent pas forcément à orienter les femmes dans ce type de situations ici», constate Levana Blum.
«Quand une consultation se déroule sans interprète, c’est difficile pour moi», Tangreha, une patiente migrante
«Nous les recevons en consultation et organisons leur prise en charge à l’hôpital ainsi que l’accompagnement extérieur, pour leur créer un réseau. Mais parfois, elles refusent tout. Nous sommes alors les seules à les accompagner.» À titre indicatif, les sages-femmes conseil avaient pris en charge 160 patientes au cours de l’année 2022, dont 43 migrantes.
«C’est difficile lorsque nous les rencontrons la première fois et que nous découvrons qu’il n’y a pas de compréhension possible», rapporte la sage-femme conseil. «Quand nos compétences en anglais, allemand, français ou italien ne suffisent pas, nous cherchons à passer par une plateforme qui propose des interprètes. Il en existe plusieurs. L’une d’elles est prévue pour les requérants du Centre fédéral de Boudry. Pour les personnes migrantes qui ne dépendent pas de cette structure, nous utilisons le système Bhaasha.»
Selon Levana Blum, les ressources internes peuvent aussi s’avérer utiles, grâce à «une liste d’employés polyglottes que l’hôpital a établie. Encore faut-il que la personne qui maîtrise la langue recherchée travaille quand nous en avons besoin…»
Apporter des soutiens
Présentes depuis une quinzaine d’années au RHNe, les sages-femmes conseil fournissent un appui durant la grossesse, en abordant des aspects qui vont au-delà des considérations médicales. Cela peut se traduire par la mise en place d’un soutien psychologique ou autre. Pour la préparation à la naissance, si les femmes n’ont ni les moyens ni la possibilité de suivre les cours collectifs, Levana Blum et ses collègues cherchent des alternatives. Elle mentionne le centre Recif, qui a ouvert un atelier destiné aux femmes enceintes migrantes.
«Nous pouvons aussi les mettre en contact avec une sage-femme indépendante, qui ira les voir pour un examen prénatal, dans la mesure du possible. Cette consultation est prise en charge par la Lamal.» Lorsqu’une patiente migrante qu’elle suit est admise en salle d’accouchement, Levana Blum essaie d’être présente durant le travail. Le cas échéant, «mes collègues géreront très bien la situation, elles ont l’habitude de s’expliquer avec des gestes! Mais il arrive aussi que certains interprètes se mettent à disposition pour la naissance.»
En cas d’urgence vitale, l’équipe cherche à traduire avec les moyens du bord, mais après-coup, un entretien sera organisé avec un interprète pour veiller à ce que la patiente ait bien compris la prise en charge. Au gré des besoins, les sages-femmes conseil se rendront auprès de ces patientes durant leur hospitalisation. Pour voir comment elles se sentent, vérifier que tout est bien organisé pour leur sortie avec le bébé ou faire un retour à la sage-femme indépendante…
Selon Levana Blum, le plus compliqué dans son travail avec les personnes migrantes «n’est pas le problème linguistique, car les interprètes sont bons. C’est plutôt de créer un lien de confiance dans un contexte difficile et de les aider à faire face aux difficultés qu’elles rencontrent, tout en sachant qu’on ne peut pas tout résoudre.»
«Dans la santé, le facteur culturel est très fort»
L’hôpital prend en charge un nombre «non anecdotique» de patients non francophones qu’il est difficile de quantifier. «Pour pouvoir communiquer avec eux, nous nous appuyons sur différents systèmes. L’objectif est de fournir des informations dans leur langue, surtout quand un diagnostic ou un traitement doit être expliqué ou un consentement donné», détaille Pascale Giron, directrice adjointe à la direction médicale du RHNe.
«Pour les requérants du Centre fédéral de Boudry, nous pouvons solliciter des interprètes via une plateforme dédiée. Pour les autres migrants, nous passons par Bhaasha, un service d’interprétariat communautaire. Nous nous adressons parfois aussi au Service de la cohésion multiculturelle pour demander qu’un traducteur se déplace. «Il arrive aussi qu’un proche parlant français vienne avec le patient pour faire la traduction. Pas idéal s’il se retrouve à devoir annoncer un diagnostic grave… Selon le contexte, nous essayons d’éviter qu’un parent fasse le traducteur: ce n’est pas à un enfant d’accompagner sa mère à une consultation gynécologique. Et en cas de violences sexuelles perpétrées au sein d’une petite communauté, nous ne pouvons pas être sûrs que le proche qui traduit garantisse la confidentialité des échanges.»
Un interprète agréé est lié au secret professionnel. Il ne s’arrête d’ailleurs pas à la traduction littérale, mais prend aussi en compte le contexte culturel, en veillant à ce que le patient ait compris les enjeux. «Dans le domaine de la santé, la composante culturelle est très forte. C’est pourquoi nous accompagnons nos collaborateurs pour les sensibiliser à ce facteur. Dans certaines communautés, des représentations d’une maladie peuvent conduire à un refus de prise en charge. L’épilepsie, par exemple, peut être vue comme une manifestation d’esprits et engendrer des pressions de l’entourage. Quand nous annonçons un diagnostic d’épilepsie, nous devons être sûrs que le patient comprenne bien les incidences en termes de vie professionnelle, traitement et crises.»
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