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Dr Philippe Olivier

«On est à l’aube de la lutte contre la maladie d’Alzheimer»

L’effet des traitements actuels contre les maladies neurodégénératives reste limité, mais l’arrivée de nouvelles options thérapeutiques ouvre l’espoir de traitements spécifiques. Le point de la situation avec le Dr Philippe Olivier, neurologue référent au sein du Centre mémoire du RHNe.

En suisse, 150 000 personnes sont atteintes de maladie d’Alzheimer et syndromes apparentés. Un chiffre probablement sous-estimé, tout-e-s les patient-e-s atteints par la maladie n’étant pas diagnostiqués. Cette pathologie neurologique est causée par une lente dégénérescence des neurones. Les personnes touchées perdent peu à peu leur autonomie, au point de devenir complètement dépendantes.

À quel moment faut-il s’inquiéter ? Pourquoi consulter ? Quel est l’intérêt d’être pris-e en charge dans un centre pluridisciplinaire ? L’éclairage du Dr Philippe Olivier, médecin-chef au sein du service de neurologie et référent du Centre mémoire du RHNe, créé en 2023 et fruit d’une collaboration fructueuse entre le RHNe (département de gériatrie et de soins palliatifs, service de neurologie, unité de neuropsychologie et logopédie, service de radiologie, service de médecine nucléaire) et le Centre Neuchâtelois de psychiatrie de l’âge avancé (CNPaa).

RHNeMaG: On parle beaucoup d’Alzheimer. Y a-t-il une augmentation de la prévalence de la maladie?
Dr Philippe Olivier: La prévalence est corrélée avec le vieillissement de la population. On a enregistré une légère augmentation ces 20 dernières années, mais l’évolution reste limitée.

Y a-t-il des facteurs de risque, outre le fait de prendre de l’âge?
L’hypertension artérielle, l’obésité, le diabète augmentent les risques de développer une maladie d’Alzheimer. La sédentarité aussi: avoir une activité physique régulière réduit le risque de développer la maladie dans les 20 ans qui suivent. Cela ralentit la dégénérescence. On estime que le contrôle des facteurs de risque (hypertension artérielle, diabète, tabac, alimentation, activités physiques et sociales, entraînements cognitifs) permet de diminuer le risque de déclin cognitif de 40%. Il y a aussi des facteurs socio-économiques et psycho-sociaux. Le fait d’avoir fait des études, d’être actif, curieux et de disposer d’un large réseau social permet de ralentir l’apparition de la maladie. C’est très important d’être stimulé, d’être en lien avec ses proches et ses amis. À l’inverse, avoir une mauvaise vue et une mauvaise ouïe isole les personnes touchées. Cela peut accélérer le déclin cognitif.

Quels sont les premiers signes de la maladie?
La perte de mémoire n’est pas le seul signe de la maladie d’Alzheimer, mais c’est l’un des premiers à apparaître et le plus évident à percevoir pour l’entourage. La personne commence à oublier de plus en plus souvent des événements récents, tout en gardant une bonne mémoire des souvenirs anciens. Un patient se souviendra ainsi parfaitement de son mariage il y a 40 ans, mais pas du prénom de sa petite-fille née il y a deux mois. La perte de mémoire se remarque aussi par la répétition de questions, l’impression d’oublier les choses ou la difficulté à suivre certaines discussions. Les symptômes progressent ensuite à toutes les autres sphères de la cognition: difficultés à parler, à réaliser certaines tâches simples jusqu’à devenir progressivement dépendant.

Quand faut-il consulter?
Si vous repérez ce type de symptômes chez vous ou chez un proche, il ne faut pas hésiter à prendre rendez-vous avec votre médecin traitant, qui vous référera au besoin dans un Centre mémoire. Une plainte cognitive ou une évolution du caractère peuvent être des signes annonciateurs de la maladie. On constate souvent une augmentation de l’anxiété avant même l’apparition des premiers symptômes objectifs. Les personnes se rendent compte de manière diffuse que quelque chose ne va pas. Une fois que la maladie se déclare, cette anxiété a tendance à disparaître. Les patients ne se rendent souvent même plus compte de leur trouble, surtout en début de maladie.

Comment pose-t-on le diagnostic d’une maladie d’Alzheimer?
Les modalités de diagnostic ont fortement évolué ces 10 à 15 dernières années. Au début des années 2000, le diagnostic était encore principalement clinique et pouvait être posé par un seul médecin. Ce n’est plus envisageable aujourd’hui: il doit être fait par un Centre mémoire constitué d’une équipe pluridisciplinaire. Lors du premier rendez-vous, un examen physique complet est effectué, avec un statut neurologique, un examen neuropsychologique complet, une évaluation gériatrique ciblée en fonction de la problématique. Des examens complémentaires sont demandés si nécessaire, comme une IRM cérébrale, un PET-scan cérébral ou encore un bilan sanguin et analyse du liquide céphalorachidien (LCR) après ponction lombaire. Désormais, le diagnostic est posé avant tout sur les déficits neurologiques, neuropsychologiques et sur des critères biologiques. La maladie d’Alzheimer est en effet liée à la présence de dépôts de protéines amyloïdes, qui entraînent une cascade d’événements menant à l’accumulation de protéines Tau anormales dans le cerveau, à une perte de synapses, une dégénérescence cérébrale et, à terme, à une altération de la mémoire. Le dosage de protéines du liquide céphalorachidien (LCR) reflète l’intensité des lésions neuronales. La recherche de ces biomarqueurs est prise en charge par l’assurance de base depuis 2020 seulement. Cette évolution nous a fait prendre conscience qu’il y avait encore beaucoup d’erreurs diagnostiques lorsque nous nous basons uniquement sur la clinique et que nous ignorons encore beaucoup de choses dans ce domaine très complexe.

Avez-vous eu des patients de moins de 50 ans?
Cela peut arriver, mais ce sont des formes plus rares. Les patients les moins âgés ont habituellement entre 50 et 60 ans. Plus jeune, la cause est généralement d’origine génétique.

Des entrainements quotidiens de la mémoire peuvent-ils être utiles pour ralentir l’évolution de la maladie, voire repousser son apparition?
Si on stimule régulièrement son cerveau, on retarde le développement des maladies neurodégénératives. Selon les études, faire un sudoku ou un mots-croisés quotidien n’est pas d’une grande aide, car ça ne fait appel qu’à une dimension de la mémoire. Je donne plutôt comme conseil aux aînés de lire, de danser, de bricoler, d’apprendre une nouvelle langue, d’aller voir des expositions, de jouer d’un instrument de musique et surtout d’entretenir des interactions sociales.

Nous offrons ce type de prises en charge non-pharmacologiques, au sein du Centre mémoire. Initialement cela a pu être mis sur pied par l’intégration du Centre mémoire au programme Caremens, soutenu par Promotion Santé Suisse. D’autres prestations sont proposées par l’AROSS (Accueil réseau orientation santé social). L’année passée, les conservatoires de musique de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds ont mis en place des sessions de rythmique selon la méthode de Jaques-Dalcroze (RJD) réservées aux plus de 65 ans. C’est ouvert à toutes et tous, pas seulement aux personnes atteintes de troubles cognitifs. Avec l’idée qu’il faut prendre soin de son cerveau si on veut qu’il reste en pleine forme. Si la maladie est déjà présente, le Centre mémoire organise des ateliers de logopédie, de physiothérapie et de neuropsychologie, avec des stimulations et des interacions sociales. Le Centre mémoire travaille également en partenariat très étroit avec l’AROSS.

On a beaucoup parlé des nouveaux médicaments contre Alzheimer ces derniers mois, avec des autorisations de prescrire données aux États-Unis et dans certains autres pays, mais pas en Suisse et en Europe. Pouvez-vous préciser ce qu’il en est?
Oui, les choses ont bougé ces trois dernières années, après une longue période sans nouveauté. Jusqu’au début des années 2000, on utilisait exclusivement des inhibiteurs de la dégradation de l’acétylcholine. Ces médicaments, le donepezil, la galantamine, la rivastigmine ou la mémantine, permettent de prévenir la dégradation de cette substance chimique utile dans les processus de mémoire. L’effet est malheureusement assez réduit: cela peut retarder de 4 à 6 mois l’entrée en institution, selon les études. Au vu de ces résultats, la Haute autorité de santé, en France, a décidé que les inhibiteurs de la dégradation de l’acétylcholine ne seraient plus pris en charge par la sécurité sociale. En suisse, on les utilise toujours. Personnellement, je les prescris encore. Pas tellement parce qu’ils freinent la maladie, mais parce qu’ils permettent de réduire l’apathie des patients.

En 2021, l’approbation de l’aducanumab par la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA) a suscité des espoirs rapidement douchés. Cet anticorps dissout les résidus d’amyloïdes qui s’enchevêtrent les unes dans les autres dans le cerveau. La scintigraphie (ou PET-scan) a montré que l’aducanumab empêchait les dépôts d’amyloïdes. Tout est nettoyé, mais sans amélioration des fonctions cognitives. Deux autres anticorps ont été développés: le donanemab et le lecanemab. tous les deux permettent au système immunitaire de se débarrasser des résidus d’amyloïdes, mais aussi de réduire la dégénérescence cognitive. Ils ont été autorisés récemment aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon et en Corée du sud. Après un préavis négatif en juillet 2024, l’Agence européenne des médicaments a donné finalement une réponse positive le 14 novembre dernier pour l’accès au lecanemab pour des patients sélectionnés avec maladie d’Alzheimer. En Suisse, aucune demande n’a été faite auprès de Swissmedic, mais nous avons bon espoir que nos patients pourront aussi avoir accès à ces nouveaux traitements spécifiques.

Comment expliquez-vous ces hésitations?
Cela s’explique par les risques induits par ces médicaments. Les études ont montré que 27% des patients ont développé des ARIA-E ou ARIA-H (oedème ou hémorragie) dans les 6 premiers mois du traitement. Le donanemab et le lecanemab rendent les parois des artères cérébrales un peu «poreuses». Cela reste un risque, ce qui nécessite des contrôles réguliers par IRM. La question actuelle est de savoir si on serait en mesure de suivre des patients de ce type au vu de ces besoins. Le délai d’accès à l’IRM sera l’un des critères. L’administration de ce type de traitement sera réservée aux Centres mémoires pluridisciplinaires. A priori, ils seront prescrits uniquement pour des patients en train de rentrer dans la maladie, avec très peu de handicaps.

Comment imaginez-vous la prise en charge d’Alzheimer dans 20 ans?
Le donanemab et le lecanemab ouvrent la voie à d’autres molécules. Elles offrent déjà une petite amélioration par rapport aux 6 ou 7 anticorps monoclonaux développés ces dernières années. Les futurs anticorps seront a priori plus efficaces, avec moins d’effets secondaires. on se trouve à l’aube de la lutte contre Alzheimer et les autres maladies neurodégénératives.

Bio express du Dr Philippe Olivier:

1971   Naissance à la maternité de Genève
1983   Déménagement à st-Blaise
1995   Diplôme de médecine à Lausanne
2000   Thèse de doctorat en biologie cellulaire pour l’Institut suisse de Recherche expérimentale contre le cancer (IsREC) à Épalinges/Lausanne
2003   Médecin-assistant en neurologie au CHUV
2007   Chef de clinique en neurologie au CHUV
2008   Arrivée au RHNe
2010   Participe à la création du service de neurologie au RHNe, comme médecin cadre, d’abord médecin adjoint puis médecin-chef
2023   Médecin-chef au sein du nouveau Centre mémoire du RHNe

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